Le premier bruit du silence

Extrait

C'est à ça que ressemblaient les nuits. La peur n'attendait pas seulement les montagnes mais aussi les portes, les fenêtres ainsi que les coeurs. Les lumières diminuaient d'intensité, les voix devenaient rauques et on grondait les enfants pour qu'ils ne rient pas à haute voix ; les doigts posés sur les lèvres, on comptait des yeux les cuillerées amenées à la bouche. Les gens espéraient qu'en faisant semblant d'être morts avant l'heure, l'oiseau noir passerait sans les effleurer de son aile. Sous une lumière blafarde elle reprisait la chemise déchirée de son frère. Son père s'est encore étendu sur le canapé et y disparaît, sa mère raccommode des chaussettes en soupirant très fréquemment. Dans cette maison, à la même heure se répètent toujours les mêmes choses. De l'extérieur, du jardin lui parvient soudain la voix de son frère : «Cours, cours vite ! Viens voir cette pastèque !» Elle s'est piqué la main avec son aiguille. Même ce geste recelait comme un parfum d'aventure, le goût de la vie. Ce «aiiiie» qui jaillit de sa poitrine sans qu'elle le veuille lorsqu'elle se pique avec son aiguille fascine et réjouit comme le son d'une clochette accrochée au cou du silence. Cette aiguille ne s'était pas enfoncée dans sa main. Son «aiiiie» s'était enfoncé dans la veine vitale de la pièce protégée de toute sorte de vacarme, de toute sorte de joie de vivre.