Une saison de coton. Trois familles de métayers

Agee James - Evans Walker - Borraz Hélène - Haslet

BOURGOIS







Extrait



La charge d'un poète

par Adam Haslett

Comment prêter attention à la souffrance et à l'injustice ? Il y en a tant. Pour peu que nous déambulions dans le monde les oreilles et les yeux ouverts, nous voyons bien qu'elles sont omniprésentes. Le problème semble insoluble. Nous avons besoin de filtres pour éviter de nous laisser submerger, de catégories pour distancer notre expérience de la douleur d'autrui en une abstraction supportable. Une fois adultes - pour peu que nous le devenions -, cette adaptation se sera faite quasi imperceptiblement. Il y a la souffrance inéluctable d'amis et de membres de notre famille. Il y a les problèmes des personnes qui font partie de notre environnement immédiat, physique ou virtuel, dont nous sommes conscients et dont nous parlons. Et puis il y a la douleur des autres, de ces lointains inconnus qui vivent là où nous ne sommes jamais allés et dont nous ne découvrons les souffrances que par l'intermédiaire des médias, lorsqu'ils en parlent. Purs fléaux qui nous affectent sans que nous sachions véritablement comment, et que nous choisissons généralement d'ignorer ou de traiter comme de simples «questions», entités plus faciles à appréhender.
Cependant, certains visionnaires sociaux et artistes mélancoliques, dont James Agee faisait partie, échouent magnifiquement à faire cette adaptation. Leurs oeuvres, à la manière d'un Jésus-Christ passé au tamis de Marx, affirment qu'il est scandaleux d'établir une distinction entre la souffrance d'un proche et celle d'un inconnu. Ils rapportent ou représentent avec une empathie acharnée les épreuves des pauvres et des déshérités, produisant une sorte d'anthropologie moralement indignée, une ethnographie délivrée du haut de la chaire. On pourrait décrire de cette manière le texte de James Agee, Une saison de coton, qui rend compte des conditions de travail des fermiers blancs et pauvres dans le Sud profond des États-Unis.
Le magazine Fortune passa commande de ce reportage au cours de l'été 1936, envoya Agee et le photographe Walker Evans en Alabama pour le réaliser, et refusa finalement de le publier. Aucun document ne nous permet d'établir avec certitude la raison de ce refus. On peut cependant se demander comment un quelconque laquais de l'empire de presse de Henry Luce qui, outre Fortune, comprenait Time et Life, aurait pu songer un seul instant à publier un tel texte.
Agee, né à Knoxville en 1909, rejoignit Fortune en tant que rédacteur en 1932 à sa sortie de Harvard, où il s'était plu à parodier, dans le Harvard Lampoon, le genre de journalisme superficiel et étouffant que prônait Luce, tout en raillant le «foireux martelage prétentieux de Harvard». C'est fort de sa réputation de poète qu'il fit ses premiers pas dans les bureaux du cinquante et unième étage du Chrysler Building. (Permit Me Voyage, son premier livre, remporta un prix de Yale récompensant les jeunes poètes en 1934.) Luce pensait que les poètes et les écrivains pouvaient apprendre à traiter du monde des affaires, et il remplit donc les pages de Fortune d'une juxtaposition quasi cinématographique de mots et d'images. C'est ainsi que le directeur de la rédaction du magazine, Ralph Ingersoll, commanda à Agee de longs articles fouillés sur les centres d'intérêt culturels des grands patrons dans le contexte de la Dépression qui sévissait alors.



18,00 €
Disponible sur commande
EAN
9782267026917
Découvrez également sur ce thème nos catégories Policiers , Littérature française , Pléiade , Littérature belge , Ecrivains voyageurs , Romance érotique , Littérature érotique , Littérature sentimentale , Romans historiques , Littérature étrangère , Littérature en V.O. , Langue française , Livres audio , Poche , Vécu , Terroir , Poésie , Théâtre , Essais et critique littéraire , Science-fiction-fantasy , Fantasy-Fantastique dans la section Littérature