Le guide divin dans le shî'isme originel. Aux sources de l'ésotérisme en islam

Amir-Moezzi Mohammad-Ali

VERDIER







Extrait

À mon père Mostafa qui aimait tant les imâms In memoriam Extrait de l'avant- propos : Depuis les études de I. Goldziher (Beiträge zur Literaturgeschichte der Shi'a und die sunnitischen Polemik, Vienne, Autriche, 1874) jusqu'à l'ouvrage de H. Halm (Die Schia, Darmstadt, 1988), plus d'un siècle d'études scientifiques a été consacré au shî'isme en général et à l'imâmisme en particulier. Un grand nombre d'islamologues et d'orientalistes se sont intéressés à cette «variante» la plus importante de l'Islam et le nombre d'articles, d'ouvrages et de monographies consacrés à ce sujet est assez impressionnant. Néanmoins, pour ce qui est de l'imâmisme originel, c'est-à-dire la doctrine censée être professée par les imâms historiques du shî'isme appelé plus tard shî'isme duodécimain ou imâmisme, aussi surprenant que cela paraisse, il faut franchement avouer que nous n'en avons encore aucune idée claire corroborée par un ensemble cohérent de données anciennes. Il n'existe, pour ainsi dire, aucune étude systématique et exhaustive sur cette phase formative et primitive de la doctrine. Ce qui caractérise le plus, à mon sens, les études consacrées à l'imâmisme, c'est la confusion constante entre les enseignements des imâms rapportés par les plus vieilles compilations de traditions imâmites et les idées professées par les penseurs et savants imâmites plus tardifs, sans tenir compte de la subite évolution historico-doctrinale qu'a connue l'imâmisme après l'occultation du douzième imâm. Je reviendrai bien entendu plus longuement sur cette confusion fatale à toute intelligence de l'imâmisme originel ainsi que sur cette évolution capitale. L'image ou, pour être plus précis, les images de l'imâmisme re­flétées à travers ces études, une fois confrontées aux plus anciens textes, semblent fragmentaires, confuses, voire contradictoires : toute cohérence idéologique et toute logique doctrinale y font dé­faut. À s'y intéresser de plus près, il paraît impossible d'avoir une compréhension synthétique globale de la doctrine, compréhension indispensable pour une étude analytique des points précis et des détails fondamentaux. L'imâmisme est-il un mouvement politico-religieux de type révolutionnaire ? Une doctrine mystique anthropomorphiste ? Une philosophie politique précoce au sein de l'Islam ? Une théologie rationalisante de type mu'tazilite, augmentée d'un culte irrationnel des imâms ? Ceux-ci étaient-ils des juristes-théologiens respectueux de la sunna et respectés par toute la Communauté ? Des ambitieux frustrés développant des spécu­lations messianiques ? Des illuminés enthousiastes justifiant leurs contradictions à l'aide d'un ensemble d'idées incohérentes et hérétiques ? Des philosophes mystiques ne recevant leurs consignes que de l'univers des archétypes ? La raison de ces images disparates est, me paraît-il, à la fois complexe et simple ; complexe puisque le corpus ancien des imâms constitue une somme colossale où, peut-être volontairement pour des raisons inhérentes à un certain nombre de doctrines qui se définissent comme étant ésotériques, la logique cohésive et l'ordonnancement du discours font le plus souvent défaut. Pour dégager la doctrine des imâms plus ou moins dans sa probable cohérence originelle, il faut recourir à un dépouillement systématique de l'ensemble des parties disponibles de ce corpus, ce qui n'a jamais encore été fait et cette lacune a débouché sur un problème simple qui, malgré son évidence, a curieusement échappé aux spécialistes, à savoir que nous ne connaissons pas encore la Weltanschauung de l'imâmisme primitif ; nous ne savons rien ou presque de la vision que les imâms avaient et donnaient du monde, de l'homme et de l'histoire ; en d'autres termes, la cosmologie, l'anthropologie et la sotériologie imâmites dans leur phase originelle sont restées des domaines très insuffisamment étudiés voire inexplorés. En l'absence de la connaissance et de la compréhension de cette «vision du monde», ne connais­sant donc ni le sens ni le but de la doctrine, les descriptions générales de celle-ci aussi bien que l'analyse de ses traits ponctuels ne peuvent être qu'incomplètes et fragmentaires, pour ne pas dire in­intelligibles. C'est en me fondant sur ces données que je suis conduit à es­quisser une division des travaux consacrés à l'imâmisme en quatre grands groupes ; par cette division, je tente uniquement de souli­gner l'insuffisance de ces travaux à pouvoir dégager une vision historique cohérente et globale de l'imâmisme primitif : I) Les études «trop synthétiques» puisque trop générales ; ce sont des ouvrages généraux sur le shî'isme ou sur l'imâmisme. En raison de leur caractère même, embrassant pour la plupart quelque quatorze siècles d'histoire, ces études présentent une doctrine identique à elle-même en tout temps et tout lieu ; les évolutions doctrinales, les oppositions d'idées ou les glissements sémantiques de la terminologie technique y sont souvent négligés, surtout au profit du courant qui ne devint dominant qu'après l'occultation et au détriment de la connaissance de l'enseignement originel devenu minoritaire. D'autres, outre leur caractère général, sont marqués par une précipitation et un bâclage de la rédaction, dus peut-être à l'intérêt éveillé par la révolution iranienne et les récents événements du Liban. (...)



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EAN
9782864325116