La veuve enceinte. Les dessous de l'histoire

Ce roman est construit sur un flash-back: le héros vieillissant, Keith Nearing, se remémore l'été de ses vingt ans (1970), théâtre d'un mystérieux événement qui a bouleversé sa vie sexuelle et donc son existence tout entière. Il s'agit essentiellement d'un huis clos (certes solaire) dans un château italien, où, parmi un chassé-croisé de personnages et de désirs, le protagoniste hésite entre trois femmes: sa petite amie Lily, Scheherazade l'objet de ses fantasmes, et la très troublante et très "virile" Gloria. Mais, comme souvent chez Martin Amis, on a aussi affaire à un roman à idées, dont les longs dialogues déroulent les obsessions de l'auteur: l'identité masculine, l'impossible rapport entre les sexes, la hantise de l'anéantissement (sous forme de cataclysme atomique), le malaise du corps (sous l'égide des Métamorphoses d'Ovide). Autant de préoccupations familières, tout comme le dispositif, notamment la révélation différée d'un secret qu'on devine au seuil de l'histoire. L'ambiance est délibérément étouffante, et ce roman marque un retour de l'auteur à une veine cruelle et sarcastique. Il s'éloigne de l'ambition historique de ses ouvrages précédents, malgré le sous-titre Les dessous de l'Histoire et la "veuve enceinte" du titre, métaphore empruntée au penseur russe Alexandre Herzen, qui désigne la période de transition entre deux formes d'ordre social. On ne peut qu'être sensible aux scènes de jeunesse qui forment le corps du livre ainsi qu'aux scènes qui les encadrent, le superbe début, la fin en miroir, méditation lyrique sur la mortalité et le vieillissement. Cette évocation de la "révolution sexuelle" des années 1960-1970 brille par l'intelligence brillante et provocante de sa vision. Martin Amis demeure un immense styliste, à l'écriture constamment vigoureuse, aux trouvailles fulgurantes, inimitables.