Quartier charogne
Aurousseau Nan
STOCK
Mon père était un salaud. Il est mort dans les chiottes, en poussant. C'est le coeur qui a lâché. J'écris salaud comme j'écrirais saint, parce que les salauds sont des saints, eux aussi, une fois morts. Il faut pardonner aux morts et j'ai pardonné à mon père le mal qu'il nous a fait.
Il était dur, mon père. Il frappait ma mère en rentrant du travail, ivre à rouler par terre.
«Travailleur de force! Six litres par jour! J'vais vous en faire baver, moi! Arbeite! Vasistas?!» qu'il gueulait en cassant les chaises rue des Maraîchers, dans notre petit trois pièces du quartier Charonne.
Il parlait pas allemand, pourtant, c'étaient les restes de la guerre, les souvenirs des camps, du travail forcé dans les ateliers de mécanique, là-bas en Allemagne. Il en parlait beaucoup, mon père, de ce temps-là. Il avait vu Maurice Chevalier recevoir des patates plein la tronche à Zwickau, dans la Saxe. Il avait pas pu chanter, Chevalier, il s'était sauvé. Et Pétain qui avait refusé la Croix-Rouge aux prisonniers... Qu'est-ce que ça voulait dire, la croix rouge? J'y comprenais rien.
Des nuits entières à délirer, les coudes sur la table, la bouteille de gros rouge à moitié vide, à se resservir un verre tous les quarts d'heure.
Souvent, le soir, après le boulot, il s'arrêtait au bistrot, il buvait un coup, puis un autre, et après il oubliait de rentrer.
«Va chercher ton père, me disait ma mère, il doit être chez Saïd.»
Je le trouvais au comptoir en train de raconter des bobards à une bande de poivrots subjugués. Il avait travaillé au Canada, lui, en Amérique, à Bâton Rouge, à Montréal. Conducteur d'engins géants, il avait mis à plat la montagne, il en restait plus rien, du mont Réal, qu'il leur disait...
«Mais alors, Lulu, c'est comment là-bas, au Canada? On gagne bien sa vie?»
Ils y croyaient, eux tous. Parce qu'il était fort en gueule, mon père, costaud encore, et grand baratineur quand il avait un coup dans l'aile. Je le tirais par la veste. «P'pa, y a maman qui veut que tu rentres.» Il me répondait pas, alors j'attendais. Je savais bien, moi, qu'il y avait jamais foutu les pieds, au Canada.
Il était dur, mon père. Il frappait ma mère en rentrant du travail, ivre à rouler par terre.
«Travailleur de force! Six litres par jour! J'vais vous en faire baver, moi! Arbeite! Vasistas?!» qu'il gueulait en cassant les chaises rue des Maraîchers, dans notre petit trois pièces du quartier Charonne.
Il parlait pas allemand, pourtant, c'étaient les restes de la guerre, les souvenirs des camps, du travail forcé dans les ateliers de mécanique, là-bas en Allemagne. Il en parlait beaucoup, mon père, de ce temps-là. Il avait vu Maurice Chevalier recevoir des patates plein la tronche à Zwickau, dans la Saxe. Il avait pas pu chanter, Chevalier, il s'était sauvé. Et Pétain qui avait refusé la Croix-Rouge aux prisonniers... Qu'est-ce que ça voulait dire, la croix rouge? J'y comprenais rien.
Des nuits entières à délirer, les coudes sur la table, la bouteille de gros rouge à moitié vide, à se resservir un verre tous les quarts d'heure.
Souvent, le soir, après le boulot, il s'arrêtait au bistrot, il buvait un coup, puis un autre, et après il oubliait de rentrer.
«Va chercher ton père, me disait ma mère, il doit être chez Saïd.»
Je le trouvais au comptoir en train de raconter des bobards à une bande de poivrots subjugués. Il avait travaillé au Canada, lui, en Amérique, à Bâton Rouge, à Montréal. Conducteur d'engins géants, il avait mis à plat la montagne, il en restait plus rien, du mont Réal, qu'il leur disait...
«Mais alors, Lulu, c'est comment là-bas, au Canada? On gagne bien sa vie?»
Ils y croyaient, eux tous. Parce qu'il était fort en gueule, mon père, costaud encore, et grand baratineur quand il avait un coup dans l'aile. Je le tirais par la veste. «P'pa, y a maman qui veut que tu rentres.» Il me répondait pas, alors j'attendais. Je savais bien, moi, qu'il y avait jamais foutu les pieds, au Canada.
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EAN
9782234071056
Caractéristiques
EAN | 9782234071056 |
---|---|
Titre | Quartier charogne |
Auteur | Aurousseau Nan |
Editeur | STOCK |
Largeur | 135mm |
Poids | 223gr |
Date de parution | 31/10/2012 |
Nombre de pages | 172 |
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