Dans les vignes. Chroniques d'une reconversion
Bernard Catherine
ROUERGUE
Avant-propos
Il a fallu que j'arrive en Languedoc, à presque quarante ans, mon regard suivant le ruban de l'autoroute A9, découvrant les coussins de vignes des Corbières, les océans de vignes qui, de Narbonne à Montpellier, et même au-delà, répondent aux étangs et à la mer, pour que je fasse le lien entre la vigne et le vin et que ce trait d'union posé entre l'un et l'autre réveille des souvenirs d'enfance restés des désirs enfouis, en suspension.
Quand j'habitais à Paris, j'allais le dimanche dans les magasins de plants et de plantes du quai de la Mégisserie. Je me suis toujours demandée à qui ces magasins pouvaient bien vendre les boutures de roses trémières, de campanules, de lupins, de pieds d'alouette, les bulbes de dahlias, de glaïeuls, les graines de cosmos, de pois de senteur. Je regardais toutes ces plantes en rêvant que je semais, plantais, des parterres, des bordures, des plates-bandes, feuillues, florales, légumières, légumières et florales. J'en repartais les mains vides, parfois, maigre consolation, avec un pot de géranium ou de menthe. J'avais aussi fini par acheter le guide Clause, Traité pratique du jardinage, qui ne m'était d'aucune autre utilité sauf celle de faire comme si j'avais un jardin. À Paris, le manque de la campagne creusant un vide, j'avais commencé à trouver de la poésie à la botanique. Finit-on toujours par retourner là d'où l'on vient?
Je me suis installée dans les vignes en janvier 2005, après presque vingt ans de journalisme, dont dix à Paris, pensant en avoir fini avec l'écrit. Ce récit, comme le retour à l'écrit, a fini par s'imposer. Il a commencé à prendre forme dans un blog tenu sur Rue 89, site fondé par des collègues journalistes de Libération, explorant eux aussi des modèles économiques nouveaux. Jusqu'alors, l'économie, rubrique à laquelle j'ai été assez longtemps abonnée, était pour moi quelque chose d'abstrait, un concept du ressort de l'idéologie. Le travail de la terre, la fabrication et le commerce du vin m'ont fait entrer dans le concret. Tous ceux qui travaillent avec leur corps et leurs mains, tous ceux qui travaillent la terre savent de quoi je vais parler, mais eux-mêmes n'en parlent pas ou rarement, voire l'escamotent, quand ils n'essayent pas de l'annihiler. On aimerait que le labeur, à l'instar du mot lui-même, soit d'une autre époque, que le corps soit totalement asservi à l'esprit, se fasse oublier, à l'exception de la pratique du sexe et du sport, que l'esprit soit affranchi du temps qu'il fait et des aléas afin d'atteindre à la totale maîtrise. La vigne n'est pas seulement une composante de l'agriculture. Le vin qu'elle donne la place ailleurs, sur les tables des villes, dans un imaginaire individuel et collectif. Cela contribue à en faire une aventure à taille humaine.
Montpellier, printemps 2010
Il a fallu que j'arrive en Languedoc, à presque quarante ans, mon regard suivant le ruban de l'autoroute A9, découvrant les coussins de vignes des Corbières, les océans de vignes qui, de Narbonne à Montpellier, et même au-delà, répondent aux étangs et à la mer, pour que je fasse le lien entre la vigne et le vin et que ce trait d'union posé entre l'un et l'autre réveille des souvenirs d'enfance restés des désirs enfouis, en suspension.
Quand j'habitais à Paris, j'allais le dimanche dans les magasins de plants et de plantes du quai de la Mégisserie. Je me suis toujours demandée à qui ces magasins pouvaient bien vendre les boutures de roses trémières, de campanules, de lupins, de pieds d'alouette, les bulbes de dahlias, de glaïeuls, les graines de cosmos, de pois de senteur. Je regardais toutes ces plantes en rêvant que je semais, plantais, des parterres, des bordures, des plates-bandes, feuillues, florales, légumières, légumières et florales. J'en repartais les mains vides, parfois, maigre consolation, avec un pot de géranium ou de menthe. J'avais aussi fini par acheter le guide Clause, Traité pratique du jardinage, qui ne m'était d'aucune autre utilité sauf celle de faire comme si j'avais un jardin. À Paris, le manque de la campagne creusant un vide, j'avais commencé à trouver de la poésie à la botanique. Finit-on toujours par retourner là d'où l'on vient?
Je me suis installée dans les vignes en janvier 2005, après presque vingt ans de journalisme, dont dix à Paris, pensant en avoir fini avec l'écrit. Ce récit, comme le retour à l'écrit, a fini par s'imposer. Il a commencé à prendre forme dans un blog tenu sur Rue 89, site fondé par des collègues journalistes de Libération, explorant eux aussi des modèles économiques nouveaux. Jusqu'alors, l'économie, rubrique à laquelle j'ai été assez longtemps abonnée, était pour moi quelque chose d'abstrait, un concept du ressort de l'idéologie. Le travail de la terre, la fabrication et le commerce du vin m'ont fait entrer dans le concret. Tous ceux qui travaillent avec leur corps et leurs mains, tous ceux qui travaillent la terre savent de quoi je vais parler, mais eux-mêmes n'en parlent pas ou rarement, voire l'escamotent, quand ils n'essayent pas de l'annihiler. On aimerait que le labeur, à l'instar du mot lui-même, soit d'une autre époque, que le corps soit totalement asservi à l'esprit, se fasse oublier, à l'exception de la pratique du sexe et du sport, que l'esprit soit affranchi du temps qu'il fait et des aléas afin d'atteindre à la totale maîtrise. La vigne n'est pas seulement une composante de l'agriculture. Le vin qu'elle donne la place ailleurs, sur les tables des villes, dans un imaginaire individuel et collectif. Cela contribue à en faire une aventure à taille humaine.
Montpellier, printemps 2010
20,30 €
Disponible sur commande
EAN
9782812601897
Caractéristiques
EAN | 9782812601897 |
---|---|
Titre | Dans les vignes. Chroniques d'une reconversion |
Auteur | Bernard Catherine |
Editeur | ROUERGUE |
Largeur | 119mm |
Poids | 306gr |
Date de parution | 05/02/2011 |
Nombre de pages | 231 |
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