Le jeu des familles dans le roman français du XIXe siècle
Extrait
Le jeu des familles au XIXe siècle Qui d'entre nous n'a pratiqué, dans son enfance, le jeu des sept familles ? Souvenez-vous : chaque participant doit rassembler des séries comprenant chacune le grand-père, la grand-mère, le père, la mère, le fils, la fille ; le gagnant est celui qui en ramasse le plus grand nombre. Balançant à chaque génération un mâle et une femelle, ces séries articulent l'axe horizontal de l'alliance et l'axe vertical de la filiation, complété, au niveau du fils et de la fille, par une relation d'adelphisme. Elles dessinent ainsi dans l'espace fictif des maisonnées, généralement associées à un site, un métier, une activité partagés ; elles ébauchent dans le temps fictif des Lignées, patrilinéaires. Que ce jeu ait été inventé au XIXe siècle n'est pas accidentel. Médiation entre l'individu et la société, la famille apparaît alors comme de plus en plus cruciale et dans la construction des egos, et dans le maintien de l'ordre collectif, à une époque où l'acception étendue du terme, englobant tout un groupe de personnes liées, à différents degrés, par la filiation et par l'alliance, recule devant son acception restreinte, le noyau du père, de la mère et des enfants, parfois réduit à deux, voire à un seul membre. Le jeu des sept familles fait partie d'une vaste gamme de pratiques et de discours qui témoignent du remodelage de l'institution, dans ses attributs, ses usages, ses normes, ses sens, tout en contribuant à ce remodelage. En effet, la famille étant inséparablement structure empirique et structure mentale, pratiques et discours, officiels ou spontanés, doctes ou frivoles, ne se contentent pas de reproduire les nouvelles formules : ils concourent à les produire. Au seuil d'une étude consacrée à la représentation littéraire de la famille, le jeu des sept familles - jeu, ou divertissement, de société, ou petit cercle juvénile - me servira de métaphore heuristique pour cerner, dans un premier temps, le jeu, ou fonctionnement, des familles dans nos grandes sociétés historiques, dans un second temps, le jeu, ou dispositif mimétique, des familles dans le roman du XIXe siècle, et d'explorer leurs règles, leurs enjeux, leurs contextes respectifs. Ces prémisses nous aideront à appréhender, au fil du livre, comment 1a fiction répercute, repense, reconfigure l'institution, dans sa dimension factuelle, cognitive et fantasmatique, et participe ainsi à sa redéfinition. Le jeu de société diffère par sa nature du jeu sociétal. Le premier est librement choisi, circonscrit dans l'espace et dans le temps, désintéressé, et enferme dans une réalité parallèle. Le second, auquel nul n'échappe, investit les lieux et la durée de la vie, et assure la reconduction de ses conditions ; il est obligatoire, pérenne, productif, et résolument sérieux. En quoi le jeu sociétal s'écarte-t-il, par ses règles, du jeu de société, règles recouvrant ici des données, des objectifs, des consignes et des principes ? Il se signale, d'abord, par la complexité de ses données. Les cartes étalent trois fois deux couples, multipliés par le nombre magique de sept, et chaque carte est l'égale d'une autre. Dans le monde sublunaire, les chiffres ne sont pas limités ; un père n'a pas la même valeur qu'un fils, ni un fils qu'une fille, certaines cartes constituent des atouts (l'ancêtre à particule, l'héritière, le diplômé plein d'avenir) ou des handicaps (le parent pauvre, l'enfant prodigue), et les rapports entre les unités sont étroitement codifiés. Les deux jeux contrastent aussi par leurs objectifs. Éparpillées dans la distribution initiale, les familles de papier visent à se retrouver, se refermer sur leur sizain originel ; dans le monde au contraire, les familles, qui cherchent à se perpétuer, doivent passer de la cohésion à l'éclatement. D'où des dissemblances dans les consignes. Les familles de papier se reconstituent de proche en proche en récupérant leurs éléments égarés parmi les six voisines ; dans le monde, les familles se prolongent en greffant leurs éléments sur des familles étrangères. Dissemblance enfin au niveau des principes. Aux cartes domine une forme de nécessité (le hasard de la donne), auquel répond un nombre restreint de stratégies ; face aux nécessités du monde (aléas de la vie ou multiples déterminismes), la liberté des conduites et la variété des combinaisons domestiques, quoique contrôlées, restent ouvertes.
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EAN
9782862726458
Caractéristiques
EAN | 9782862726458 |
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Titre | Le jeu des familles dans le roman français du XIXe siècle |
Auteur | Bernard Claudie |
Editeur | PU SAINT ETIENN |
Largeur | 160mm |
Poids | 580gr |
Date de parution | 06/02/2014 |
Nombre de pages | 323 |
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