Tahoé L'enlèvement

Une sonnerie stridente. Une sensation humide et froide sur ma joue. Dans mon oeil. Aïe. Une autre sonnerie. Façon désagréable de s'éveiller d'une sieste dans le rocking-chair.
La truffe de Spot. Insistante. La truffe d'un danois dans l'oeil, c'est comme un morceau de beurre froid. Je le repoussai, m'essuyai l'oeil d'un revers de manche. Une autre sonnerie. Je louchai. Quelque chose étincelait dans le brouillard de ma vision. La plaque d'identification à l'oreille de Spot, qui reflétait la lumière entrant par la fenêtre. Je regardai l'horloge: 14h47. Autre sonnerie. Je me levai en clignant de l'oeil. Mes paupières étaient engluées par le fluide provenant de la truffe du chien. Cinquième sonnerie. Je passai dans mon coin cuisine et décrochai le téléphone. Celui qui appelait avait raccroché. Je n'entendis que la tonalité.
- Tu ne peux pas me laisser dormir quand j'y arrive enfin? demandai-je, sachant que c'était le téléphone qui avait incité Spot à me taper dans l'oeil.
Spot remua la queue.
Je n'avais pas l'habitude de faire des siestes, mais j'étais resté éveillé une bonne partie des trois nuits précédentes, essayant de démêler les allégations de quelqu'un qui m'avait appelé en prétendant savoir qui avait tué Grâce Sun. Il s'agissait d'un meurtre resté non élucidé pendant le dernier mois de ma carrière d'inspecteur à la brigade criminelle de la police de San Francisco. J'avais reçu un appel à minuit chacune des trois nuits précédentes.
L'écran de mon téléphone indiquait un numéro d'appel privé. À minuit, il ne s'agissait probablement pas d'un démarchage commercial; j'avais donc répondu.
- Je sais qui a tué Grâce Sun, avait dit mon correspondant.
- Qui est à l'appareil? avais-je demandé. La personne avait ignoré ma question.
- J'ai lu que vous aviez des traces d'ADN, mais aucun suspect correspondant. Renseignez-vous sur Thomas Watson. Il vient d'acheter un appartement sur la rive ouest. Dans la résidence Blue Sky, Blue Water.
Le type avait raccroché.
Le soir suivant, il avait rappelé, encore plus agité. Étais-je allé arrêter Watson? Pourquoi pas? Cet homme était un tueur! Est-ce que je voulais que les meurtriers restent en liberté?
Je lui avais répondu qu'un tuyau fourni par un appel anonyme ne constituait pas un motif d'arrestation. Et l'avais informé que j'étais maintenant détective privé, que je n'avais aucune autorité pour faire le travail de la police. Il avait raccroché avec un juron.
Le lendemain, j'avais transmis l'information à des flics de ma connaissance dans plusieurs des diverses juridictions policières aux alentours du lac Tahoe.
Le troisième soir, l'homme avait de nouveau appelé. J'avais répondu que j'avais transmis ses informations aux autorités compétentes, qu'il n'y avait rien d'autre que je puisse faire. Il avait répliqué par un chapelet d'insultes, me disant que je le regretterais, et m'avait encore raccroché au nez.