Lectures philosophiques de la Bible. Babel et logos

Buhot de Launay Marc

HERMANN







Extrait



Comment lire ?

De quelque manière qu'on se réfère à la Bible, force est de lui reconnaître, parmi toutes les qualités possibles, au moins celle-ci d'être d'abord, sinon essentiellement, un texte si l'on veut ne pas encourir le soupçon de donner dans ce que Valéry appelait «superstition littéraire» : «J'appelle ainsi toutes croyances qui ont de commun l'oubli de la condition verbale de la littérature.» Et ce n'est aucunement «réduire» la Bible à sa condition littéraire que d'en rappeler la priorité pour nous, quel que puisse être, par ailleurs, le statut qu'on lui reconnaît : texte «sacré», texte «inspiré», texte «fondateur», texte «kérygmatique». Nous ne pouvons échapper à notre propre situation de récepteurs; mais nous ne pouvons pas non plus croire naïvement être en mesure de faire table rase de la tradition et de l'histoire, pour imaginer nous retrouver face à un tel «livre» comme s'il ne s'agissait que d'une collection de textes parmi d'autres dont l'efficace historique ne se faisait pas sentir jusqu'à nos jours tout au long de milliers d'années. Certes, l'autorité de la tradition à elle seule n'implique pas une obédience immédiate, car, d'emblée, cette allégeance impliquerait de faire un choix parmi telle ou telle orientation de cette tradition dont l'absence d'unité renvoie, précisément, à des interprétations différentes, divergentes, voire incompatibles d'un «même» texte. On peut néanmoins se risquer à considérer comme une sorte de nécessité l'alternance entre incrémentation interprétative et retour à la lettre, alternance qui n'a cessé de rythmer la réception, telles des diastoles et systoles herméneutiques. Et la prolifération des réceptions dans d'autres domaines que celui qu'on imaginerait proprement religieux est tout autant un fait historique : les textes bibliques ont inspiré et inspirent les arts en général, les arts plastiques, notamment, toujours à partir d'une interprétation du texte, même si, bien évidemment, l'élaboration de telle peinture ou de telle sculpture, voire, au plus près du texte transmis, l'enluminure, obéissent tout autant à des impératifs esthétiques, à une logique de traitement d'un matériau qui n'est plus du tout littéraire, à un contexte historique où d'autres mobiles sont à l'oeuvre ; il en irait ainsi des «mistères» médiévaux, des pièces de théâtre, des nouvelles, récits, romans prenant tel thème ou tel personnage bibliques pour matériau.
Mais prendre la Bible dans la perspective littéraire lato sensu, où c'est d'abord sa nature textuelle qui est presque exclusivement arrêtée comme le cadre de l'interprétation, implique une délimitation par rapport aux grandes options herméneutiques léguées par la tradition et par ses pratiques.

Les quêtes de l'«original»

Tout d'abord, il a bien fallu fixer ce qu'on appelle un canon, et l'on sait que même cette opération a une histoire complexe, qu'elle s'est effectuée à plusieurs reprises, et que ses résultats diffèrent d'une confession à l'autre. Autrement dit, l'étape apparemment initiale est loin d'être contemporaine de l'apparition des textes, la fixation d'un canon a toujours présupposé et mobilisé une décision sur le statut qu'il fallait accorder à chacun des «livres», cette décision ne pouvant être prise que sur la base d'une interprétation des textes, elle-même contrainte à faire valoir des critères à la fois endogènes et exogènes. Une histoire des canons ramènera toujours à l'examen comparatif entre les critères tels qu'ils ont été avancés et les textes auxquels ils se sont appliqués sans qu'on puisse faire fond sur autre chose qu'une réinterprétation contemporaine desdits textes.



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EAN
9782705666682
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