EXPORTER LA LIBERTE, ECHEC D'UN MYTHE

CANFORA LUCIANO

DESJONQUERES

LIBERTÉ POUR LES GRECSAlors qu'on abattait les remparts d'Athènes, au mois d'avril de l'an 404 av. J.-C., beaucoup pensèrent - comme on le lit dans l'Histoire grecque de Xénophon - «que de ce jour datait la liberté des Grecs». Sur ces mots, s'achève le récit de la «grande guerre» qui avait déchiré le monde grec pendant presque trente ans.La «grande guerre du Péloponnèse» (431-404 av. J.-C.) avait vite acquis aux yeux des contemporains les plus avisés une très grande importance, bien supérieure à celle de tous les conflits précédents, y compris de la guerre semi-mythique contre Troie et des glorieuses guerres médiques. La raison de cette importance exceptionnelle en était la durée. Au fur et à mesure que les opérations militaires s'éternisaient, on prenait conscience du fait que cette guerre ne se résumerait pas à quelques combats, que la «bataille décisive» était encore loin. Mais pourquoi une telle durée, inconnue jusqu'alors? Parce que l'enjeu de ce conflit était la lutte pour l'hégémonie.Au lendemain des guerres médiques (478 av. J.-C.), Athènes s'était affirmée comme une grande puissance, pôle d'attraction pour un nombre considérable d'Etats, des îles surtout, qui avaient tiré le plus grand bénéfice de la victoire athénienne sur mer contre la flotte perse. Une «alliance» s'était donc créée, vite officialisée, avec Athènes pour «État-guide». Cette rupture des équilibres traditionnels du monde grec - Sparte, et elle seule avait été jusqu'alors la «grande puissance» incontestée - fut à l'origine du conflit avec cette dernière, qui éclata cinquante ans environ après la victoire athénienne sur les Perses. L'«alliance» se mua rapidement en «empire» et les alliés devinrent de plus en plus des «sujets». À côté de la poursuite théorique de la guerre contre les Perses, visant à «libérer» les Grecs d'Asie mineure, Athènes, «État-guide», se consacra avec une fréquence croissante à réprimer ses propres alliés, tentés de lui faire défection. Tentation d'autant plus forte qu'Athènes s'efforçait de maintenir au pouvoir, dans les cités alliées, des gouvernements de même tendance que le sien: des gouvernements «démocratiques», vacillants ou ne disposant pas d'une supériorité numérique sur leurs adversaires (les oligarques et leurs partisans), mais soutenus par les armes de l'«État-guide».Ainsi l'alliance, née dans la foulée de la victoire sur la Perse pour apporter la «liberté», entendons l'indépendance, aux Grecs d'Asie mineure, se transforma en un mécanisme implacable de frein, de contrôle, voire de répression, des Grecs «libérés». Chaque fois qu'ils le pouvaient, les oligarques tentaient deux opérations étroitement liées: abattre le système démocratique et sortir de la ligue athénienne. La principale défection précédant la «grande guerre» qui allait durer trente ans, fut celle de l'île de Samos (441-440 av. J.-C.). Athènes lança contre cette dernière une répression de grande ampleur, lui livrant une véritable guerre qui dura des années. Mais encore une fois, Sparte n'apporta aucun secours aux rebelles, contrairement à ce que ceux-ci avaient peut-être espéré. Il est évident qu'une intervention aurait signifié une guerre généralisée, aux conséquences imprévisibles.

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EAN
9782843211041
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