LACAN. LA SCENE

CHAMBON PATRICK

EPEL







Extrait

Extrait de la préface de Claude Jaeglé Comment le corps d'un penseur se déforme-t-il pour accueillir la distorsion d'une idée nouvelle ? A quelle succession d'univers correspond une inspiration intellectuelle ? Patrick Chambon nous en montre un exemple : une gestuelle de prestidigitateur, des postures clownesques, une silhouette formant des lettres avec ses bras, ses jambes, un dandy déhanché en scène, la magie artisanale de Méliès, les lumières d'un cabaret expressionniste et toutes sortes de théâtres d'ombres... Lacan aurait été tous ces mondes et tous ces personnages pour devenir un grand théoricien de l'inconscient : c'est l'hypothèse qu'illustre Patrick Chambon en se faisant lui-même clinicien du néologisme. Cette mise en rapport d'un théoricien, non avec la rigueur objective de sa pensée, mais avec sa théâtralité et les manifestations de son public, pouvait conduire à une mauvaise caricature de Jacques Lacan. L'insistance de l'auteur à représenter un séminaire de psychanalyse dans les formes du music-hall, de même que le choix d'illustrer des néologismes, mode de pensée difficile à prendre au sérieux, achèvent la liste des dangers assumés par Chambon pour célébrer le psychanalyste de la rue de Lille. Ces planches dessinées sont d'autant plus un tour de force. Leur virtuosité a surpris ceux qui en ont été les premiers spectateurs. Voir Lacan revenir vers nous dans ce numéro burlesque provoque sur ses connaisseurs un étrange effet de reconnaissance : la distorsion que propose Patrick Chambon incarne des forces qui ont concouru à la création de cette pensée originale ; elle les rend visibles en figurant une multitude de personnages et de dynamismes que l'histoire des sciences et des idées n'autorise pas, en général, à reconnaître derrière la figure d'un penseur respecté. Ce sophiste redoutable que fut Lacan eut à redouter une attention intense, des perspectives fantastiques et de brutales variations de plan équivalant à un grand drame sous les projecteurs. Mais c'est bien lui, dans une apparence plus vraie que nature. De même restons-nous étonnés de découvrir qu'un événement de pensée - le séminaire de Lacan - est mieux rendu quand il est caricaturé avec finesse et humour. L'histoire de l'art a eu beau nous apprendre comment la caricature participe à l'établissement de l'exactitude historique, nous restons rêveurs et perplexes quand ce moyen formel concerne notre propre intérêt - avant de nous délecter de sa vérité non conforme. En ce sens, Patrick Chambon respecte au mieux la mission picturale qui n'est pas d'imiter la forme objective d'un événement mais d'en faire percevoir des traits essentiels par le choix de déformations spécifiques. Le bonheur paradoxal de ce graphisme à l'encre et au fusain est dans la délicatesse qu'il obtient par des images outrées, dans ce jeu entre ressemblance et équivalence qui, selon Gombrich, qualifie l'art de la caricature - à ceci près qu'elle ne comporte pas, chez Patrick Chambon, le dessein d'hostilité auquel Gombrich associe cette forme dans l'histoire de l'art.



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EAN
9782354270247
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