Julien Gracq

Dobzynski Charles, Para Jean-Baptiste, Collectif

REVUE EUROPE

TOUT CE QUI FAIT LE TIMBRE D'UNE VOIXLa seule littérature nécessaire est toujours réponse à ce qui n'a pas encore été demandé.Peu d'écrivains à première vue aussi gaiement à contre-courant de leur époque et insensibles à l'air du temps qu'elle respire. Se rangeant du côté d'André Breton et du surréalisme au moment même où Sartre déclare qu'ils n'ont «plus rien à nous dire», appelant Claudel et une littérature du oui à la rescousse contre le non d'une littérature militante quand celle-ci tient le haut du pavé, contestant fermement qu'une oeuvre littéraire transmette un message ou qu'elle puisse être éclairée par une quelconque science de la littérature. Et enfin: «On demande aujourd'hui à l'homme d'État d'être constamment en prise, en état de dialogue familier et immédiat avec les citoyens. On le demande aussi à l'écrivain avec son public, alors que son travail essentiel est d'écrire des livres - de qualité si possible - et non de "causer dans le poste", de parader sur les estrades télévisuelles, ou de discuter de ses livres avec les bambins des classes élémentaires. Cela n'a pas grand sens, ni grande portée, et on a le droit de s'en abstenir.» C'est l'écrivain de 90 ans qui parle ici et qui ne demande que le droit de mener son existence d'écrivain à sa guise: écrire en toute liberté, lire selon ses humeurs et décider seul de sa voie vers le public. Ce sont sans doute de telles prises de position - qu'il n'est pourtant pas seul à défendre - et la persévérance têtue à s'y tenir qui l'ont fait entrer dans la légende. Mais ni Gracq, qui n'avait de goût pour aucun piédestal, ni son oeuvre rebelle à toute tentative d'embaumement ne s'y trouvent vraiment à l'aise.*Pendant que j'écris, le soleil qui descend en face de moi jaunit et dore cette page, et ma plume y fait courir une ombre longue et aiguë de cadran solairePeu d'oeuvres aussi aisément reconnaissables dans leur timbre, leur climat, les figures de leur imaginaire et à ce point diverses dans leurs rythmes, expressions et formes. La variété des genres est grande: récits, théâtre, poésie, essai, pamphlet, notes de voyage et de lecture. Genres aménagés avec souplesse dans un jeu libre avec leurs règles et leurs modes d'expression, évoluant avec une écriture qui change de registre avec son sujet et qui mûrit.Mais par où que l'on entre dans l'oeuvre, fût-ce par le Château d'Argol gorgé de drame et de significations, ou La Presqu'île, flânerie d'une après-midi devenue récit, par l'essai sur André Breton ou les notes des Lettrines, c'est une même poétique du monde qu'on perçoit. C'est la même voix qu'on entend pour dire un instant de la vie, une route, un coin de terre, le tracé d'une écriture, l'essence d'un livre.Quand Gracq parle de son travail ce n'est jamais en termes de savoir, d'éthique ou de mission. En revanche le monde, ses paysages et ses routes sont rarement loin lorsqu'il dit ne pouvoir écrire que devant une fenêtre donnant «sur un lointain», qu'une phrase malvenue s'ajuste par la marche, que l'écrivain au travail est «ouvert à toutes les imprégnations». Le livre et sa naissance sont intimement complices des saisons et des heures.Un automne aussi beau et ensoleillé que l'été vient le prolonger, apportant avec lui comme presque toujours le désir d'écrire, d'entreprendre un livre, comme on a le désir d'aller sur la mer.Ces quelques lignes contiennent la formule intime de l'imaginaire et de l'oeuvre. L'automne, sa «lumière mûrissante» et ses journées si tardivement «aventurées et menacées», qui ranime pressentiments et attentes - «Qui s'annonce ici avec une telle solennité?» La mer qui désenclave l'existence, lui redonne sa respiration, son vent «si impatient, si pur». Et le désir.On a souvent et justement dit que l'oeuvre tout entière était placée sous le double signe du désir et de l'attente, qui sont pour Gracq ouverture vers l'éventuel, appel à la vie. Ils nourrissent de leur tension tous les livres, rythment récriture. Mais du désir seul compte le sillage, de l'attente l'énergie impatiente qui l'habite. Et si le voyage en est l'incarnation par excellence, il est d'abord rupture avec un monde ancien. C'est ainsi que le jeune élève d'hypokhâgne, dans la fraîcheur d'une matinée limpide, prend congé de Nantes, qu'Aldo au petit matin laisse derrière lui «les mes engourdies, la somnolence» d'Orsenna. Et c'est ainsi encore que l'officier se mettra en chemin une après-midi d'octobre vers Barbonville, première étape d'une longue liste de cantonnements à travers la Lorraine, «délesté, sans amarres, sans attaches, faisant sonner la route à neuf de [s]es semelles ferrées».

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EAN
9782351500545
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