La couleur du pouvoir. Géopolitique de l'immigration et de la ségrégation à Oakland, Californie

Douzet Frédérick

BELIN

Extrait de l'introduction: «Oakland est probablement le secret le mieux gardé aux Etats-Unis.» Ishmael Reed Le débat sur le port du voile islamique à l'école en 2004 et les émeutes urbaines de novembre 2005 ont suscité une prise de conscience des problèmes d'intégration auxquels la France doit faire face. On découvrait enfin, ou plutôt, on acceptait de débattre des processus de ségrégation à l'oeuvre dans nos quartiers sensibles et des ressentiments, voire du fondamentalisme qu'ils pouvaient nourrir. Les taux de chômage très élevés dans ces quartiers, même pour les diplômés, prenaient ainsi un sens particulier en raison de leur dimension «ethnique». En essayant enfin de sortir du discours sécuritaire pour se pencher sur les dynamiques urbaines et démographiques, on mesurait ce qu'aucun outil de recensement ne permet de cartographier en France: une «ethnicisation» de la pauvreté, une corrélation puissante entre immigration de première et deuxième génération et difficultés d'insertion économique sur des territoires largement stigmatisés où émergent une culture et une identité propres. Quelques ensembles de logements sociaux, voire des communes entières, sont devenus des quartiers répulsifs pour des habitants de plus en plus mobiles qui perçoivent souvent le territoire comme une ressource dans la quête d'une meilleure qualité de vie et d'une réussite professionnelle et sociale pour eux-mêmes et leurs enfants. Ces mêmes quartiers assistent, au fur et à mesure de leur dégradation, au départ de populations financièrement stables pour accueillir essentiellement celles qui s'y installent par nécessité économique plus que par choix. Parmi elles, on compte une proportion substantielle d'immigrants récents. Dès lors, les comparaisons et les amalgames avec la situation américaine se sont multipliés. La référence aux villes américaines a longtemps servi d'épouvantail ou de prophétie de malheur, ce qui se passe aux États-Unis arrivant inéluctablement dix ans plus tard en France... Au-delà de la dénonciation, la recherche de réponses a pourtant conduit nombre d'intellectuels, d'hommes politiques, de leaders associatifs et d'élus européens à se tourner vers le modèle américain. Puisque le modèle républicain français d'intégration ne permettait plus l'assimilation des jeunes issus de l'immigration, et plus spécifiquement des jeunes beurs, il importait de le réformer, d'autant que ces jeunes semblaient subir une discrimination à l'embauche particulièrement prononcée. Peut-être était-il temps de revoir le vieux modèle jacobin d'une nation indivisible qui laissait si peu de place aux minorités de tous ordres dans un contexte mondial de montée des communautarismes ethniques et religieux, et des revendications identitaires, régionalistes ou linguistiques. Peut-être fallait-il envisager une représentation politique pour chacune de ces communautés et créer des outils spécifiques de rattrapage des inégalités. Ainsi Nicolas Sarkozy proposait-il, fin 2003, d'importer le modèle américain de discrimination positive (affirmative action) alors que le président de la République Jacques Chirac répliquait de façon ambiguë, déclarant que la discrimination positive ne serait «pas convenable» tout en étant préalablement intervenu pour exiger du ministère de l'Éducation nationale qu'il propose un recteur «d'origine maghrébine». Ces positions ont déclenché un vif débat au sein du gouvernement et la fureur du Haut Conseil à l'intégration qui a tenu à redéfinir la politique d'intégration sur la base du «contrat républicain» et de «l'action positive». En 2000, le Conseil de l'Europe avait élaboré des directives faisant de la lutte contre les discriminations une priorité. La France s'était alors dotée d'un arsenal juridique de lutte contre les discriminations mais en plaçant le critère ethnique sur le même plan que le genre, les orientations sexuelles ou encore les opinions politiques. Or certains de ces critères sont susceptibles d'évoluer, une personne pouvant très bien changer d'opinion politique ou d'orientation sexuelle, plus difficilement de couleur de peau ou de genre. Cette conception de la discrimination place donc le débat au niveau de l'individu et non du groupe. D'autres initiatives ont alimenté le débat, comme celle de l'Institut d'études politiques de Paris (IEP) qui a choisi de cibler des territoires pour atteindre les populations. Suivant l'idée que la ségrégation territoriale est un frein à l'intégration, l'IEP a mis en place, en septembre 2001, un recrutement préférentiel de lycéens de ZEP (zones d'éducation prioritaires) dans le but clairement avoué de diversifier sa population étudiante composée dans sa très vaste majorité d'enfants de cadres supérieurs blancs. Calquer les réponses du modèle américain sur les problèmes d'intégration en France impliquerait de franchir un pas qui ne l'a pas été jusqu'ici, à savoir la prise en compte politique et juridique du critère ethnique. Autrement dit, l'étape préalable à toute action visant des groupes de populations victimes de discriminations et non plus des territoires est la création de catégories de population, de minorités. Elle implique aussi l'évaluation de l'oppression de ces minorités, la création de droits spécifiques et la hiérarchisation des revendications et des droits. Début 2004, France Télévision, avec le soutien du Haut Conseil à l'intégration (HCI) et du Conseil supérieur de l'audio-visuel (CSA), présentait un plan pour améliorer la représentation des «minorités» à la télévision. Avec la volonté de donner plus de couleur aux «écrans pâles» et d'améliorer la diversité culturelle et la présence de personnes issues de l'immigration à l'antenne, France Télévision affichait comme objectif que le dixième des personnes présentes à l'écran appartienne à une minorité visible, c'est-à-dire essentiellement à la population issue de l'immigration hors européenne en France. Cela n'est bien entendu qu'une estimation, les instruments de mesure faisant défaut. Outre le caractère illégal d'une telle disposition, la question de sa mise en pratique reste entière. Les critères de mise en oeuvre n'existent pas juridiquement, pas plus qu'un consensus politique sur l'opportunité et la manière de les élaborer. Malgré toutes les difficultés théoriques, philosophiques et politiques, il se dessine cependant en France un consensus sur la nécessité de lutter de façon plus active et efficace contre la discrimination à rencontre des personnes issues de l'immigration et de parvenir à réduire les inégalités qui alimentent des représentations politiquement néfastes. Et l'une des pistes est le modèle américain.

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EAN
9782701144986
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