Mode, où est ta victoire ?

Erner Guillaume

L'HERNE

Extrait de l'introduction de Guillaume ErnerCe recueil de textes aurait pu s'intituler «mode Herne». Tout simplement parce que la mode récapitule à merveille la modernité.Elle se caractérise d'abord par un rapport à la matière. C'est un rapport plus complexe qu'il n'y paraît, parce que la matière qui nous est chère est tout sauf inanimée. Elle nous confère pour partie notre identité. On peut le déplorer, s'en féliciter ou tout simplement le constater, mais la manière dont nous achetons, et en particulier celle dont nous nous habillons, contribue à nous définir. La chose était déjà vraie jadis; le noble se distinguait du bourgeois par sa parure. Mais les codes possédaient une vraie permanence. Ça n'est aujourd'hui plus le cas: la mode s'est complexifiée, elle ne cesse d'être en mouvement. Les modes ont désormais la vie brève, une époque nerveuse s'habille de manière nerveuse.La mode révèle également notre rapport au corps. Car nous l'avons désormais littéralement incorporée en nous. Pour la première fois, la mode façonne non seulement l'enveloppe du corps, mais le corps lui-même. Dans certains lieux, les visages et les silhouettes défilent au gré des nouvelles collections de chirurgie esthétique, nouvelles bouches et nouveaux seins montrent à quel point nous avons la mode dans la peau.Enfin, la mode révèle notre rapport aux autres, c'est probablement son aspect le plus moderne. Elle porte en elle le paradoxe et la souffrance de l'individu contemporain. Son drame? Être semblable aux autres. Nos semblables ont un rêve: se distinguer d'autrui. Mais le paradoxe, c'est que plus notre contemporain cherche à ne pas être comme les autres, plus il finit par leur ressembler.Une image récapitule cette modernité de la mode, elle date de 1434, et représente les époux Arnolfini. Sur ce tableau, Van Eyck a peint la naissance du couple moderne, autrement dit du couple à la mode. En un sens, cette peinture est la première image «bling bling» de l'histoire de l'humanité. La scène représente Jean Arnolfini riche marchand de soieries, et sa jeune épouse, dans leurs appartements de Bruges. Ils ont demandé au peintre d'immortaliser leur réussite dans ce salon richement décoré, paré d'un lustre en argent, de lourdes soieries, d'un miroir délicatement orné qui reflète les robes bordées de fourrure que portent les époux. Tout ce décorum prouve leur réussite, qui est déjà la réussite de la mode: Jean Arnolfini a réussi en vendant des draperies, commerçant entre Bruges et Lucca, la ville d'Italie dont il est originaire. Au XVe siècle, déjà, alors que le capitalisme était dans les limbes, la mode occupait déjà un rôle central. C'est l'industrie textile qui était alors, à l'origine de la première révolution industrielle. Aujourd'hui, c'est encore l'industrie textile qui est à l'origine d'une autre révolution du capitalisme, l'ère de l'immatériel qui voit les marques devenir des valeurs d'échange.Les époux Arnolfini ne connaissaient évidemment pas les marques, mais leur univers était rempli de symboles. Le tableau en montre un grand nombre. Les historiens ont pu établir la signification de certains, comme le chien, signe de fidélité entre les deux époux, ou encore la bougie allumée, symbole de la présence divine. Chacun de ces deux symboles requiert une grille de lecture dont nous ne disposons plus. Cela ne signifie pas pour autant que le symbolisme a déserté notre société.

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EAN
9782851974518
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