Les constructions de l'intolérable. Etudes d'anthropologie et d'histoire sur les frontières de l'esp

Torturer des corps ou leur imposer des traitements dégradants, maltraiter des enfants ou les faire travailler, commettre des abus sexuels ou contraindre à la prostitution, laisser souffrir un mourant ou refuser des soins à un malade, exercer des violences sur des prisonniers ou tuer des civils en temps de guerre, réduire en esclavage des individus ou vouloir faire disparaître un peuple, refuser l'assistance à une population en danger ou nier la mémoire d'un génocide, autant de figures de l'intolérable qui se sont multipliées depuis deux siècles jusqu'à saturer l'espace public contemporain de faits socialement réprouvés ou juridiquement sanctionnés comme des manquements aux droits de l'homme. Mal radical, voire absolu, l'intolérable suppose le franchissement d'un extrême. Pourtant, le regard vers un passé encore proche nous apprend qu'il s'agit toujours d'une norme et d'une limite historiquement constituées, et donc frappées de relativité temporelle - nul ne sait aujourd'hui ce que seront les intolérables de demain. Ce double travail de relativisation et de hiérarchisation s'impose donc à l'évidence pour échapper à la représentation d'un intolérable absolu, qui serait sans histoire et sans gradation. Ce livre collectif examine comment s'élaborent et se différencient les frontières de notre espace moral, démontre que l'on a toujours affaire à des constructions sociales de l'intolérable. Après avoir tracé les fondements anthropologiques de ce qui constitue l'intolérable des sociétés humaines, les auteurs s'attachent à cette période de basculement que constitue la Révolution française, puis à ces moments où le travail des enfants et la maltraitance infantile commencent à faire l'objet de réprobations sociales et de mesures légales au XIXème siècle, à ces deux objets que sont la mort individuelle dans le monde européen, avec son traitement des corps, et la mort collective liée aux épidémies dans le tiers monde, en particulier le sida. Ainsi se dessine la généalogie des intolérables de notre monde, mais aussi, en contrepoint, notre remarquable tolérance à l'égard des inégalités et des injustices les plus radicales, à commencer par celles qui différencient la valeur des vies humaines.