Johnny Hallyday à 20 ans. L'idole des jeunes

François-Denève Corinne

DIABLE VAUVERT

Extrait du prologueEn 1964, tout juste sortie de l'écriture de son Lol V. Stein, Marguerite Duras pige pour Adam, luxueuse publication pour hommes fondée en 1925. Le numéro 289 de mars 1964, vendu 4 francs, déroule un sommaire hétéroclite. Pierre Bénichou s'intéresse à la montée en puissance des skieurs américains, Ève Max nous révèle de lourds secrets («Dis-moi qui est ta femme, je te dirai qui est ta maîtresse»), Jacques Serguine place une nouvelle, la Volkswagen Variant S fait l'objet d'une étude de fond, tandis que sous le titre «Une jungle nommée désir» s'alanguissent des beautés noires fort peu vêtues, allongées sur des peaux de bêtes (on préfère ne pas évoquer la rubrique «Adam-Santé»: «Donnez envie qu'on vous embrasse»). Dans l'ours, Marguerite Duras est présentée en ces termes: «Littérature, journalisme, cinéma. L'une des femmes de lettres qui marque le plus profondément son époque. Un barrage contre le pacifique, Moderato Cantabile, Hiroshima mon amour, Une aussi longue absence sont dans son carcan (sic)». Duras s'est donc courageusement rendue, en service commandé, chez Johnny Hallyday, «la vedette française actuellement la plus adulée» «et dont la personnalité est sans doute la plus opposée à la sienne». Elle a tiré de la rencontre deux feuillets, sobrement intitulés «La Ferrari, le poireau et l'autobus».Un petit médaillon présente une photo des deux protagonistes de la surréaliste rencontre: l'écrivaine, en tailleur pelucheux, de profil, semble parler, sous le regard (inquiet? fasciné?) d'un Johnny muet, de face, beau et blond. Il faut croire que l'intervieweuse parle, et que l'interviewé écoute. Ou en tout cas que quand il parle, elle écoute peu. Ou encore, comme elle le dit elle-même, qu'il ne comprend pas, qu'il ne peut pas comprendre. Elle pense que la vedette débite au kilomètre des discours convenus, répétés ou appris: il est trop jeune pour connaître les femmes. Il ne veut pas se marier et ne veut pas avoir d'enfants avant ses 30 ans. Il croit à la vertu du travail. Il parle, mais il marche aussi. Et Duras est fascinée par cette marche «comme au premier jour» - que l'on imagine nonchalante, cinématographique, terriblement sensuelle.Et arrive le moment sublime, forcément sublime. Marguerite voit enfin en Johnny «la fêlure», «le paradis perdu», l'«appartenance à jamais voilée», cet ennui métaphysique, cette angoisse terrible qui saisit l'écrivain, le livre fini, ou le chanteur, une fois sorti de scène. La chanson «L'Idole des jeunes», sortie l'année précédente, ne dit pas autre chose.La Ferrari, le poireau et l'autobus? La Ferrari est celle de Johnny, ce signe extérieur de richesse, de réussite, clinquant et incongru, pour un si jeune homme. Le poireau et l'autobus? Une anecdote sur l'ennui: un garçon qui s'ennuie, qui jette un poireau sur un autobus qui passe sous sa fenêtre, et qui attend le retour de ce même autobus, et de son poireau - un repère, un rythme, une anecdote incongrue dans la journée absurde et abrutissante d'angoisse. Le temps... Arrivée «à huit heures», Marguerite Duras repart à «huit heures moins le quart». Comme on doute qu'elle ait passé douze heures avec Johnny et ses amis, on peut quand même se demander si l'écrivaine n'a pas été quelque peu victime du charme hypnotique de l'interprète de «Da dou ron ron».

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EAN
9782846265140
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