Les Cahiers de la Justice N° 3/2020 : Avocat : un métier en transition

Gillet Jean-Louis

DALLOZ

Dans un monde plongé dans la violence, où nul ne reconnaît l'autre sauf comme son ennemi, la rencontre avec le visage est salutaire. Elle permet de nous reconnaître comme semblable. Y compris dans notre vulnérabilité car le visage est la partie la plus exposée aux violences. Le visage, si l'on en croît Emmanuel Levinas, n'est pas seulement fait de chair mais est un condensé de notre humanité commune. Quand les hommes cherchent à sortir de la violence, ils doivent nécessairement se parler, se rencontrer, se voir. Dans les affaires de terrorisme, un nuage d'insécurité plane sur cette rencontre. Nous connaissions les cagoules de l'escorte, les témoignages anonymes des policiers et l'usage fréquent de la visioconférence. La communication est froide, désincarnée quand on n'a plus en face de soi qu'un écran sans présence ou une voix sans locuteur. Avec la généralisation du masque imposé aux audiences par la pandémie de la COVID-19, un pas de plus est franchi. Jamais dans l'histoire de la justice, nous n'avions connu des juges masqués. Tous les acteurs avocats, accusés, témoins - disparaissent presque totalement. Plus aucune expression ne devient lisible derrière ces visages en tissus. Le champ de l'émotion - si important aux assises - ne transparaît que par la voix et les gestes (notamment des avocats cf. la photographie ci-dessus). Chacun cherche, malgré la contrainte, un autre registre d'expression. Le masque nourrit la pantomime et exalte le secret. On se devine du geste, on se guide au ton de la voix. La relation a autrui est fonctionnalisée, désincarnée, aseptisée. Le contact avec l'écran ajouté au port du masque décontextualise la comparution en justice. La qualité de la coprésence inhérente à l'oralité est lourdement affectée comme l'ont déploré les avocats à l'audience du procès des attentats de janvier 2015. Que reste-il ? Le regard, la voix, les gestes. Il faut se concentrer sur ces points pour compenser l'absence du visage. Ce qui suppose d'ajuster notre regard comme une lentille sur ces zones d'émergence afin de deviner qui parle. Et ainsi comprendre ce que cache le masque et ne disent pas les lèvres. C'est donc le son de la voix, l'impact du regard, l'inclinaison du visage, la position des mains mais aussi la vêture qui seront le seul guide. Le masque rend ainsi visible ce qui nous est propre et que nous voulons montrer, qu'il s'agisse d'un voile noir, d'un dessin, d'un pin's. Chacun affirme ainsi son éthos. Il faudrait inventer une sémiotique de l'audience sans visage. Une analyse de la face c'est-à-dire de l'image que chacun veut donner de soi en se présentant à la barre pourrait éclairer une scène judiciaire aussi étrange.
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EAN
9782247199907
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