Fosse commune

Randall Hollister, cocaïnomane, né de père inconnu dans un monde auquel il ne comprend rien, vit avec une mère dont l'obésité lui apparaît comme le reflet de New Valley, la métropole saturée où il traîne sa solitude. Au volant d'une voiture aussi volée que déglinguée, il se demande ce que cachent les hauts murs de pierre dressés dans les faubourgs de la ville et qu'on aperçoit parfois entre deux immeubles. Nous sommes en 2016. Un jour, Randall décide que c'en est trop de tout : il met un terme à la vie inutile de sa mère et fuit New Valley, traversant les tableaux urbains hallucinés d'une civilisation en déliquescence. Destination : les murs. Ou, plus exactement, les ruines de Deepcity qui se cachent derrière. Deepcity, la ville fantôme d'un millier d'habitants qui s'éteignit dans des circonstances mystérieuses. Alors qu'il évolue, fasciné, parmi ces vestiges banlieusards d'un autre temps, Deepcity, peu à peu, reprend vie autour de lui, d'une maison à l'autre, d'une voix spectrale à une apparition furtive... Et Randall se retrouve en 1961, une semaine jour pour jour avant la mort de la petite cité. Pour l'heure, il s'agit encore d'une charmante bourgade : maisons coquettes, jardins, tondeuses à gazon et voitures en forme de juke-box en font l'héritière de toutes les valeurs bourgeoises des golden fifties ! Mais les coulisses de ces happy days camouflent les secrets les plus morbides.
Le tour de force de Fosse commune est de réaliser la synthèse parfaite entre l'anticipation de la fin de notre civilisation et la recherche de ses causes. En propulsant son personnage d'un futur aussi proche que cauchemardesque vers un passé mythifié dont il dévoile l'envers du décor, Kenan Görgün montre que l'idéal petit-bourgeois qu'incarnent les villes américaines des années cinquante, opulentes et tranquilles mais prêtes au pire pour le rester, porte en lui les germes de sa propre destruction.