Le Dix-huit Brumaire. L'épilogue de la Révolution française, 9-10 novembre 1799

Gueniffey Patrice

GALLIMARD







Extrait



Extrait de l'avant-propos :

Le 18 Brumaire occupe une place à part dans la galerie des coups d'État. Il présente la singularité d'avoir eu peu de détracteurs mais beaucoup d'admirateurs. Cette indulgence doit d'abord au peu d'estime - c'est un euphémisme - dont a toujours souffert le régime du Directoire auquel Brumaire met fin ; à la personnalité flamboyante de son auteur et principal bénéficiaire ; enfin, et peut-être surtout, au fait que ce coup d'État, à la différence de tant d'autres, ne provoqua ni morts ni proscriptions. Le contraste n'est pas seulement saisissant avec la plupart des coups d'État qui vont suivre, il l'est plus encore avec les «journées» révolutionnaires qui l'ont précédé.
Une telle mansuétude, s'indignait Edgar Quinet, procède d'une supercherie, d'une falsification historique sciemment perpétrée par les instigateurs mêmes de cette authentique usurpation du pouvoir et qui a consisté à dater du 18 un événement qui, en réalité, eut lieu le lendemain :

Le dernier jour de la Révolution devrait porter la date du 19 et non pas du 18 brumaire, comme cela a passé en usage. Chaque événement ne porte-t-il pas le nom du jour où le grand coup a été porté ? Pourquoi donc ici cette exception unique ? L'événement, était-ce [...] le décret de translation à Saint-Cloud ? Est-ce là vraiment tout ce que rappelle l'époque dont je parle ? Non évidemment. Mais il fallait attacher les yeux de l'histoire sur les préliminaires, et les éloigner du lendemain. [...] Il entrait dans le système de faire croire qu'il n'y avait eu aucune violence, que la force n'avait été que la conséquence des décrets réguliers des assemblées qui, seules, devaient rester chargées de cette date. Voilà l'intention secrète de la surprise faite à l'histoire. Napoléon lui a commandé d'antidater l'événement; elle a obéi [...]. Si l'on eût appliqué un art et une chronologie de ce genre à d'autres époques, il n'y aurait pas une journée de violence dans la Révolution. On n'aurait eu qu'à prendre pour date la veille de chaque événement, au lieu du jour même.

Quinet a raison mais, il faut l'avouer, il cédait souvent à la paranoïa dès qu'il était question de Napoléon. D'ailleurs, il impute à celui-ci la paternité d'un genre de supercherie qui n'était pas de son invention. Ne parle-t-on pas aujourd'hui encore du 31 mai 1793 pour désigner l'expulsion des Girondins de la Convention nationale, alors que celle-ci se produisit le 2 juin ? Il ne faut pas non plus prendre trop au sérieux Quinet quand il évoque les violences du 19 brumaire. Il les exagère. Si, le 18, il ne se passa rien ou presque - le Conseil des Anciens investit Bonaparte du commandement des troupes et trois des cinq membres du Directoire exécutif démissionnent, deux volontairement, le troisième contraint et forcé -, la journée du 19 brumaire ne fut guère plus exaltante. L'événement, autrement dit, manque d'intensité dramatique : pas un coup de fusil, pas une décharge d'artillerie, pas un blessé, pas un mort, pas une goutte de sang. Juste quelques cris et une bousculade.



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9782070120321
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