Les transferts artistiques dans l'Europe gothique. Repenser la circulation des artistes, des oeuvres

Guillouët Jean-Marie - Dubois Jacques - Van den Bo

PICARD







Extrait



Le «déplacement» comme problème : les transferts artistiques à l'époque gothique

Jacques Dubois
Jean-Marie Guillemet
Benoît Van den Bossche

De la mobilité aux transferts

En 1998, Roland Recht signe l'éditorial de la seconde livraison de la Revue de l'art, consacrée à la «circulation des artistes, des oeuvres, des modèles dans l'Europe médiévale»'. Ce n'est alors pas la première fois que les historiens de l'art s'intéressent au rôle des circulations et de la mobilité artistiques. Et Roland Recht rappelle bien que, depuis le milieu du XIXe siècle, différentes études ont déjà été conduites sur ce sujet dans la littérature académique d'expression allemande. Mais il convoque ces travaux pour les disqualifier immédiatement car il reconnaît chez G. Troescher un nationalisme pangermanique qui ferait des artistes gyrovagues les vecteurs d'une domination culturelle au service d'un projet politique. Il reproche ensuite à ces travaux de ne pas insérer ces circulations et leurs protagonistes dans une histoire sociale plus large prenant en considération d'autres types de mobilités. Ces deux reproches ne cesseront de hanter les études consacrées aux circulations et à la mobilité artistiques, que l'on envisage ces dernières en parlant d'interculturalité, d'interaction culturelle ou d'histoire croisée, de déplacements, d'échanges, ou - en définitive - de transferts.
L'irruption de cet intérêt pour les mobilités dans le champ des sciences historiques intervient à un moment qui n'est pas neutre et correspond à un contexte historique et politique précis. En 1998, le traité de Maestricht avait six ans et l'espace Schengen, institutionnalisé à Amsterdam l'année précédente, devait entrer en vigueur au 1er mai de l'année suivante. C'est donc expressément pour répondre aux interrogations alors suscitées par la construction européenne que Roland Recht souhaitait apporter l'éclairage de l'historien. L'ambition affichée était de rappeler l'ampleur et l'intensité des échanges à une époque encore restée, de ce point de vue, dans l'ombre, et de tenter de caractériser les «modalités selon lesquelles cette circulation s'opère». Cela afin de répondre à une inquiétude sociale consécutive à une étape importante de la construction européenne ; inquiétude que l'auteur juge «tout à fait légitime, même si elle dénote une forme de repli».

Héritant de cette courte histoire, quinze ans après ces premiers débats, l'Institut national d'histoire de l'art (Paris), l'université de Liège (ULg - Département «Transitions») et l'université de Toulouse II - Le Mirail (Framespa-UMR 5136) ont pris l'initiative de construire un programme de recherche qui réponde aux interrogations croissantes sur ces phénomènes de mobilité, d'échanges, de relations transnationales ou d'«effets retour». L'objet de ce projet collectif était de faire le point sur cette question de la circulation des artistes, des savoir-faire, des formes, des oeuvres et des modèles, et de comprendre le rôle de cette mobilité dans les évolutions artistiques de l'Occident médiéval. Un rapide recensement des publications et des événements consacrés aux phénomènes de mobilité permet de s'en rendre compte : nos travaux se sont inscrits dans un moment historiographique marqué par la problématique des circulations. Il s'est agi d'interroger ce que devient la démarche de l'historien de l'art lorsqu'il aborde ses objets sous l'angle de la mobilité. Une telle démarche ne peut en effet consister uniquement en l'identification et au repérage des circulations mais doit aussi questionner leur rôle et leur action dans le développement des formes, des pratiques, des métiers ou encore des thèmes de l'histoire de l'art. Considérer ainsi les phénomènes artistiques revenait à changer la focale du regard en abaissant l'échelle de l'analyse pour passer du regard macrohistorique de la géographie au regard micro-historique du déplacement. Or la première conséquence de ce changement a été de renoncer à l'un des termes les plus usuellement utilisés par les historiens de l'art et à partir duquel s'est en partie construite la discipline : le terme d'«influence».



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EAN
9782708409729
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