Ethiopiques et autre nouvelles

Jancar Drago - Lück Gaye Andrée

ARFUYEN

Un jour de mai 1945, quelque part dans les montagnes de Slovénie, une unité militaire manqua la cote qu'un commandant avait marquée sur sa carte, la veille au soir, à la lueur d'une lampe de poche, et se retrouva au-dessus d'un village inconnu après une longue nuit de marche. Sur le versant boisé, l'éclat de la lumière du matin perçait à travers les branches et entre les troncs, éblouissant les hommes de la nuit. Sans avoir reçu de consigne, ils s'arrêtèrent, leur instinct aiguisé par une longue pratique de la guerre les fit se cacher derrière les arbres et dans les fourrés. Un soleil printanier baignait le chaud paysage couché à leurs pieds, leurs regards anxieux errèrent d'abord sur les hauteurs puis s'arrêtèrent sur la neige étincelante des lointaines montagnes qu'ils devaient franchir. Leurs yeux fatigués se dérobèrent à l'éclat douloureux de la neige, s'égarèrent dans la vallée en suivant la pente douce jusqu'à l'orée du bois. Là, derrière une butte herbeuse, un clocher blanc s'élançait vers le ciel. En avançant, ils aperçurent soudain un village aux maisons frileusement serrées contre la colline et paresseusement rassemblées autour de la petite église. Et là, ils découvrirent une scène étonnante, mystérieuse.Une flamme brûlait sur la toiture en bardeau de l'une des maisons. Presque sans fumée, comme si le feu n'avait surpris le bois léger du toit qu'un instant plus tôt. Un craquement sec se fit entendre, l'air chaud ondulait au-dessus du feu dans la clarté pure du matin. On avait l'impression que ce feu allait sauter sur le toit voisin d'un instant à l'autre, mais hormis son crépitement sec, aucun autre bruit n'arrivait du village, aucun appel, pas un cri, pas un meuglement ni un aboiement, absolument aucun son, humain ou animal. Près d'une maison au bout du village, sur la route qui conduisait à la vallée se trouvait un chariot chargé. Les deux chevaux qui devaient le tirer gisaient sur le sol. Comme si quelqu'un avait voulu les atteler pour emmener le chargement dans la vallée et qu'il s'était ravisé au dernier moment et les avait abattus juste devant le chariot. On avait jeté sur le chariot quelques porcs égorgés, blancs comme des cygnes et couverts d'un amas brun foncé de volailles encore frémissantes, des porcelets étaient étendus entre de grands cochons dont la viande fraîche débordait par-dessus les ridelles. La vache avait dû être tuée en dernier. Sa panse gigantesque gisait à côté du chariot, en quelque sorte indépendante, un peu séparée d'elle, recouvrant sa tête, comme si, dans un dernier effort avant de mourir, elle s'était glissée entre les roues; elle ressemblait à un ballon jaunâtre gonflé et ses pattes continuaient de battre l'air, à bout de force. Oubliant leur prudence habituelle, les hommes se levèrent pour contempler, étonnés, la scène muette devant eux où il n'y avait pas le moindre signe de vie. Ils regardèrent d'un air interrogateur le visage hirsute de leur commandant qui se demandait s'ils devaient battre en retraite dans le bois ou s'engager dans le village. Il fit quelques pas dans la descente, ensuite il se jeta sur le sol, pressa son visage sur l'herbe humide et une fraction de seconde plus tard, les militaires s'allongèrent aussi derrière lui, mais sans voir ce que voyait le commandant. L'espace d'un instant, un outil fit entendre un bruit métallique, ensuite le silence régna de nouveau.Le commandant eut l'impression de voir des silhouettes allongées le long des maisons.

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EAN
9782845901681
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