Le roi Mathias sur une île déserte

Extrait de la préface de Zofia Bobowicz«Quand j'étais le tout jeune garçon que l'on voit sur cette photographie, je voulais faire moi-même tout ce qui est raconté dans ce livre.»C'est par cette confidence que Janusz Korczak invite ses jeunes lecteurs à découvrir l'histoire de Mathias, un roi-enfant qui essaie de transformer le monde en un monde de justice et de paix, projet qui exigera un long et douloureux apprentissage et lui fera vivre mille aventures palpitantes.Les premières éditions de ce conte-parabole, celle de 1923, puis celle de 1925, sont les seules parues du vivant de l'auteur. À l'issue de la première guerre mondiale, la Pologne recouvre l'indépendance après cent vingt-trois années d'occupation étrangère. L'économie et les infrastructures ruinées, les tâches auxquelles doivent s'atteler les gouvernements polonais successifs semblent insurmontables: unifier l'administration de territoires depuis si longtemps soumis aux trois empires copartageants, la Russie, la Prusse et l'Autriche-Hongrie, lever et entretenir une armée, alimenter le Trésor et défendre la monnaie dans un pays où la gauche, soutenue par des minorités nationales qui représentaient 30 % de la population, et la droite, nationaliste et conservatrice, se disputent la forme que prendrait le nouvel État.Juif patriote polonais ayant combattu sur le front, d'abord comme médecin-chef adjoint de l'hôpital divisionnaire russe, puis, lors de la guerre polono-bolchevique de 1920, comme médecin à l'hôpital polonais des maladies infectieuses à Lodz, Korczak, une fois démobilisé, se met au service de la jeune république en reprenant ses activités pédagogiques et littéraires. Il vient de perdre sa mère qu'il adorait et dont il partageait jusqu'ici la vie. Il emménage dans la mansarde de l'orphelinat juif de la rue Krochmalna qu'il avait réussi à transformer graduellement depuis 1912, date à laquelle il en devint le directeur, en une société d'enfants, organisée d'après les principes de justice, de fraternité, d'égalité en droits et obligation. En 1922, il inaugure ses cours à l'Institut national de pédagogie spéciale qu'il assurera jusqu'au commencement de la seconde guerre mondiale.C'est la période où il compose ses principaux ouvrages pédagogiques et se lance dans l'écriture d'ouvrages destinés aux enfants. Il rapporta du front le manuscrit de son oeuvre pédagogique fondamentale: Comment aimer un enfant, écrit tout au long de la guerre «en mettant à profit la moindre halte», confiera-t-il dans son Journal tenu dans le ghetto de Varsovie en 1942, à quelques semaines de sa mort au camp d'extermination de Treblinka. En 1922, il publie Seul à seul avec Dieu, prières de ceux qui ne prient jamais, en hommage à sa mère disparue, puis les deux volumes du Roi Mathias Ie', suivis en 1924 de deux autres ouvrages pour enfants: La faillite du petit Jacq et Quand je redeviendrai petit.On ignore la date exacte où il composa les deux parties des aventures du petit roi Mathias. Les chercheurs polonais en fixent la date probable entre 1919 et 1922, ce que semble confirmer la découverte d'un exemplaire imprimé en 1922 qui porte la dédicace de l'auteur. Joanna Olczak-Roniker, petite-fille de l'éditeur attitré de Korczak, Jakub Mortkowicz, note dans la biographie qu'elle vient de consacrer à la vie et à l'oeuvre de celui qui fut un ami proche de sa famille, que l'annonce de la parution du Roi Mathias Ier figurait bien au catalogue des éditions Mortkowicz en novembre 1922. La biographe américaine de Korczak, Betty Lifton, note, quant à elle: «Il semble que la mort de sa mère et la renaissance de sa nation aient favorisé la création du personnage du roi Mathias, l'enfant imaginaire qui dormait en lui.»