Sur les eaux noires du fleuve
Lemoine Maurice
DON QUICHOTTE
Le Bas-Fleuve
Ils rient, bavardent et fument. Ils regardent dans le vide, avec cet air niais qu'ont souvent les soldats. Ils profitent de la pause - un petit moment encore et ça va s'agiter. Non qu'un peu d'animation ne soit à dédaigner. Les jours se traînent, dans cette foutue caserne - monotonie, monotonie, monotonie.
Petit gars inexistant, du genre «je reste dans mon coin», le soldadito Ramón a l'air blasé. Il n'en pense pas moins. Il en a ras les bonbons. Ras-le-bol de ce service militaire obligatoire - vingt-deux mois de sa vie! Ras-le-cul de plonger le bras jusqu'au coude dans les cuvettes des WC pour les récurer. Ras-la-casquette de ces gradés pas très fins de la tête - tout dans les biceps et les abdominaux.
Toujours les mêmes qui trinquent. Les prolos, les paysans, les moins-que-rien. Les rejetons des richards et des bourges, ils le font leur service, eux? Ils prennent le risque de se faire trouer la peau par la guérilla? Jamais!
- Les riches paient en argent et les pauvres en morts, gronde Ramón à mi-voix.
- Qu'est-ce que tu racontes?
Ramón se tourne vers le copain - pas une grosse tête on plus, mais un gars réglo. Il lui explique ce à quoi il pensait. La lèvre inférieure du copain dessine une sorte de moue. Il flotte dans son treillis vert. Ramón marmonne quelques jurons entre ses dents.
- Ces espèces de grosses merdes sédentaires, burguesitos, mariquitos, enculés de planqués!
Le copain observe par en dessous les trois pelotons rassemblés. Des types comme eux. Des compagnons d'infortune. Et, faut le dire, pas mal de fêlés. Chez beaucoup, ce n'est pas le cerveau qui travaille, mais les glandes. Un flingue entre les mains, une bonne mise en condition
- «Vous allez pisser le sang par les cartouchières, mais vous serez des hommes en repartant!» - les voilà prêts à se laisser embarquer dans n'importe quoi.
Le soldadito branle plusieurs fois la tête, puis change de sujet.
Sur l'esplanade qui s'étale à proximité, un sergent instructeur braille après les nouvelles recrues. Du QG aux murs gris anthracite sortent le lieutenant-colonel Gómez - lunettes noires sur les yeux -, le major Pulido - lunettes noires sur les yeux - et le lieutenant Estrada - lunettes noires sur les yeux. Après avoir claqué un salut, Pulido et Estrada se dirigent vers leurs soldats.
Derrière ses verres teintés, Pulido observe les hommes de ses yeux gris fureteurs, rusés. Estrada, lui, sous son uniforme, a un corps osseux et tourmenté. Un coriace, Estrada. Il fait peur à tout le monde. Il arrive toujours à ce qu'il veut.
- Rassemblement! Rápido! Magnez-vous, bougez-vous le cul!
Ils rient, bavardent et fument. Ils regardent dans le vide, avec cet air niais qu'ont souvent les soldats. Ils profitent de la pause - un petit moment encore et ça va s'agiter. Non qu'un peu d'animation ne soit à dédaigner. Les jours se traînent, dans cette foutue caserne - monotonie, monotonie, monotonie.
Petit gars inexistant, du genre «je reste dans mon coin», le soldadito Ramón a l'air blasé. Il n'en pense pas moins. Il en a ras les bonbons. Ras-le-bol de ce service militaire obligatoire - vingt-deux mois de sa vie! Ras-le-cul de plonger le bras jusqu'au coude dans les cuvettes des WC pour les récurer. Ras-la-casquette de ces gradés pas très fins de la tête - tout dans les biceps et les abdominaux.
Toujours les mêmes qui trinquent. Les prolos, les paysans, les moins-que-rien. Les rejetons des richards et des bourges, ils le font leur service, eux? Ils prennent le risque de se faire trouer la peau par la guérilla? Jamais!
- Les riches paient en argent et les pauvres en morts, gronde Ramón à mi-voix.
- Qu'est-ce que tu racontes?
Ramón se tourne vers le copain - pas une grosse tête on plus, mais un gars réglo. Il lui explique ce à quoi il pensait. La lèvre inférieure du copain dessine une sorte de moue. Il flotte dans son treillis vert. Ramón marmonne quelques jurons entre ses dents.
- Ces espèces de grosses merdes sédentaires, burguesitos, mariquitos, enculés de planqués!
Le copain observe par en dessous les trois pelotons rassemblés. Des types comme eux. Des compagnons d'infortune. Et, faut le dire, pas mal de fêlés. Chez beaucoup, ce n'est pas le cerveau qui travaille, mais les glandes. Un flingue entre les mains, une bonne mise en condition
- «Vous allez pisser le sang par les cartouchières, mais vous serez des hommes en repartant!» - les voilà prêts à se laisser embarquer dans n'importe quoi.
Le soldadito branle plusieurs fois la tête, puis change de sujet.
Sur l'esplanade qui s'étale à proximité, un sergent instructeur braille après les nouvelles recrues. Du QG aux murs gris anthracite sortent le lieutenant-colonel Gómez - lunettes noires sur les yeux -, le major Pulido - lunettes noires sur les yeux - et le lieutenant Estrada - lunettes noires sur les yeux. Après avoir claqué un salut, Pulido et Estrada se dirigent vers leurs soldats.
Derrière ses verres teintés, Pulido observe les hommes de ses yeux gris fureteurs, rusés. Estrada, lui, sous son uniforme, a un corps osseux et tourmenté. Un coriace, Estrada. Il fait peur à tout le monde. Il arrive toujours à ce qu'il veut.
- Rassemblement! Rápido! Magnez-vous, bougez-vous le cul!
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EAN
9782359491012
Caractéristiques
EAN | 9782359491012 |
---|---|
Titre | Sur les eaux noires du fleuve |
ISBN | 2359491016 |
Auteur | Lemoine Maurice |
Editeur | DON QUICHOTTE |
Largeur | 140mm |
Poids | 480gr |
Date de parution | 14/03/2013 |
Nombre de pages | 474 |
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