Esprit de Diderot. Choix de citations

Loty Laurent - Vanzieleghem Eric

HERMANN

LIBÉRER LES ESPRITS, ASSOCIER LES IDÉES

En 1749, Diderot est emprisonné au château de Vincennes. Il a 36 ans et vient de publier la Lettre sur les aveugles. Les autorités n'apprécient guère l'esprit du jeune homme, qui imagine que l'âme des aveugles pourrait bien se trouver au bout de leurs doigts. Diderot était déjà fiché par la police comme un auteur dangereux. Trois ans plus tôt, ses Pensées philosophiques avaient été condamnées. Il sort de prison à la condition de ne plus jamais publier d'ouvrages contre la religion, et grâce au soutien des puissants éditeurs de la future Encyclopédie. Ceux-ci l'avaient engagé pour traduire de l'anglais la Cyclopaedia de Chambers avant de lui confier, avec D'Alembert, la plus grande entreprise éditoriale du siècle des Lumières. Diderot consacrera 25 ans de sa vie à écrire des milliers d'articles, à diriger plus de 150 collaborateurs et à faire paraître, de 1751 à 1772, les 28 volumes du Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers.

Un auteur qui renonce à publier?

La prison et l'Encyclopédie l'ont rendu célèbre. Elles l'ont aussi déterminé à ne quasiment rien publier de son vivant. A sa mort, en 1784, le public lui attribue presque exclusivement l'Encyclopédie et deux pièces de théâtre. Les textes aujourd'hui considérés comme ses plus grandes oeuvres ne seront publiés qu'après sa mort, durant la Révolution et les deux siècles suivants.
C'est à ce prix que l'esprit probablement le plus libre de son temps a échappé à une nouvelle incarcération. Mais en retour, cette clandestinité pourrait bien l'avoir soustrait plus qu'un autre à l'autocensure, et avoir exacerbé son désir de s'adresser à des lecteurs. De là, probablement, cette étrange impression que Diderot est notre contemporain, et notre ami. Notre contemporain parce qu'une grande partie des libertés auxquelles il aspirait sont encore à conquérir. Et notre ami parce que son rejet de l'autoritarisme et son goût du dialogue n'en font pas un maître à penser, mais le compagnon d'une libération à laquelle il nous associe.
Sous la contrainte, Diderot a adopté une stratégie éditoriale en plusieurs strates. Il a publié quelques textes sous son nom, et d'autres sans les signer, il en a fait circuler une autre partie sous une forme confidentielle, il a retenu certains manuscrits destinés à n'être lus qu'après sa mort. À la fin de ce recueil de citations extraites de presque toute son oeuvre, les lecteurs trouveront une chronologie inédite de la publication imprimée et non anonyme de ses oeuvres. Cette chronologie correspond à l'incroyable histoire de la rencontre posthume des oeuvres de l'auteur avec son public. Ainsi La religieuse et Jacques le Fataliste sont-ils accessibles en 1796, Le rêve de D'Alembert en 1831, les Éléments de physiologie en 1875, les Observations sur le Nakaz en 1920, etc.
Diderot a toutefois diffusé sa pensée de son vivant, dans des oeuvres collectives ou anonymes. Il rédige de nombreux textes dans Y Encyclopédie (certains articles, non signés, ne sont sans doute pas encore attribués). Il participe, directement ou indirectement, au Système de la nature, livre anonyme du matérialiste d'Holbach. Il rédige les vigoureuses pages anticolonialistes et antimonarchistes de l'Histoire des deux Indes de l'abbé Raynal, grand succès de la fin du siècle (sa participation n'est révélée qu'en 1791, et n'est connue dans toute son ampleur - un tiers des volumes - et définitivement prouvée qu'en 1951).

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EAN
9782705684754
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