Le petit roman du vin

Millau Christian

DU ROCHER

LA CAVE MAGIQUE DE LA MONTAGNE SACRÉE

Je suis venu à l'amour du vin en prenant la direction opposée à la tradition française.
Quand je me suis trouvé en âge de boire du vin d'une manière sérieuse, autrement qu'en trempant les lèvres, le dimanche, à la table familiale, dans un fond de verre, sous le regard attendri de papa et de maman, les Français étaient divisés en deux camps gaulois. Comme il y avait les «Citroën» et les «Peugeot» (bizarrement, Renault était exclu de la lutte fratricide), on se devait d'être «bordeaux» ou «bourgogne». Celui qui aurait proclamé son adhésion aux deux partis aurait été immédiatement exclu de la communauté nationale.
Le plus souvent, les jeunes palais immatures dans mon genre regagnaient spontanément les rangs des Bourguignons, tant il était admis que le jus de leur raisin était «flatteur», «charmeur», pour tout dire, plaisamment «facile» et cordialement «paysan», alors que les gens d'en face, descendus des tours crénelées de leurs forteresses, s'employaient noblement à produire des breuvages aristocratiques dont l'austérité et la complexité ne pouvaient convenir qu'à des âmes fortes et des palais particulièrement aiguisés.
Le Créateur m'ayant doté d'une nature rebelle, je pris aussitôt le parti inverse. Plutôt que de me laisser séduire par les sirènes de la Côte de Nuits, je m'engageai résolument sur la voie rude et embrouillée qui conduisait jusqu'aux quelque quatre mille châteaux de l'Aquitaine ex-anglaise. Pendant des années, je pris donc plaisir à tailler ma route entre Saint-Estèphe et Margaux, Graves et Saint-Émilion, Pomerol et Sauternais. Une façon de parler car mes moyens de l'époque me forçaient plus souvent à tirer la langue sur les sentiers moins prestigieux de l'entre-deux-mers et des bordeaux appellation simple. Il faut remarquer qu'à l'époque, s'il était permis de loucher vers les pays de Loire et quelques enclaves fréquentables de la Vallée du
Rhône, tout le reste était balayé au vent du mépris. L'idée qu'en dehors du chianti il eût pu y avoir de bons vins dans d'autres pays que le nôtre était proprement inenvisageable. Pour ces gens-là, l'eau, la bière, le yaourt liquide et des breuvages à base de nitroglycérine satisfaisaient amplement leurs besoins primitifs.

11,35 €
Disponible sur commande
EAN
9782268069807
Découvrez également sur ce thème nos catégories Oenologie , Spiritueux , Cocktails , Bière , Mets et vins , Guides des vins dans la section Alcools & vins