Isaac Singer

Noiville Florence - Langautier Pascale de

L'HERNE

Extrait de l'introduction de Florence NoivilleLe paradoxe SingerGide disait qu'il en va de certains écrivains comme de bassins ou de fontaines: leur limpidité est telle qu'il faut se pencher longuement au-dessus pour en apercevoir la profondeur. Isaac Bashevis Singer est de ceux-là. Les inépuisables stéréotypes qui circulent à son sujet - l'aimable fabuliste de l'âme juive, le «lutin talmudique échappé d'une toile de Chagall», le conteur nostalgique ressuscitant inlassablement le folklore évanoui d'un yiddishland enfoui... - sont particulièrement trompeurs. Ce ne sont que des évidences commodes. Des reflets scintillants à la surface de sa prose. Tout le propos de ce Cahier est d'explorer, sous cette eau lisse, les profondeurs de la pensée singerienne, de mettre au jour ce qui se cache sous cette apparente - et fausse? - simplicité.Il est vrai que Singer a, en quelque sorte, donné des verges pour se faire battre.En plein XXe siècle, croire aux vertus de la narration, revenir aux fondamentaux du conte ou de la fable, jouer avec les esprits, les démons, les anges et les dybbuks, revendiquer d'écrire clair au moment où «être obscur était à la mode», n'était-ce pas prendre le risque de paraître, à maints égards, parfaitement anachronique? Aux antipodes de tout formalisme et de tout modernisme, Singer se méfie des «ismes». Il ne croit pas que la littérature puisse changer le monde - «elle ne peut même pas le rendre pire», dit-il en riant. A son époque, une telle vision n'est pas dans l'air du temps. Et que dire du choix de sa langue d'écriture? Après quelques tâtonnements en hébreu, il opte pour le yiddish. La «langue de personne» comme l'appelle Paul Celan... Lorsqu'il reçoit le prix Nobel, en 1978, et qu'on le somme, une fois de plus, de répondre à la question: «Pourquoi écrivez-vous en yiddish?», Singer note, avec l'humour et l'espièglerie qui le caractérisent: «D'abord, j'aime écrire des histoires de fantômes et rien ne convient mieux à une histoire de fantômes qu'une langue mourante. Plus la langue est morte, plus le fantôme est vivant. Ensuite, je crois en la résurrection. Je suis sûr que le Messie va bientôt venir, que des milliers de cadavres parlant yiddish sortiront de leur tombe et que leur première question sera: y a-t-il de nouveaux livres en yiddish?»Pourtant, si Singer n'avait écrit que des histoires de fantômes destinées à des morts en attente de résurrection, ce Cahier n'existerait pas. Qu'elle prenne la forme de romans, de nouvelles, de textes de conférences ou d'articles de presse, son oeuvre est traversée par toutes les angoisses philosophiques, les interrogations métaphysiques qui, déjà, étaient en germe chez l'enfant aux papillotes du Tribunal de mon père. Au centre de ce Cahier, on trouvera donc inscrite cette profonde in-quiétude religieuse, au sens large et étymologique du terme: qu'est-ce qui nous «relie» et à quoi? Dieu, s'il existe, s'amuse-t-il à nos dépens? Désire-t-il que nous protestions? A-t-il créé le monde à partir d'un plan? Existe-t-il un ordre caché sous l'apparent désordre des choses? L'idée du divin peut-elle servir de moteur à l'écriture? Et la mort, est-elle autre chose que des molécules qui se désintègrent? Des atomes qui se recombinent pour donner d'autres êtres vivants dans «le grand livre du cosmos»?

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EAN
9782851971661
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