Les Français d?Algérie. Edition revue et augmentée
Nora Pierre
BOURGOIS
Cinquante ans après
Par Pierre Nora
Cet essai est né d'un article - mon premier - écrit au retour d'un séjour de deux ans en Algérie, où j'avais été affecté, de 1958 à 1960, après l'agrégation d'histoire, au lycée Lamoricière d'Oran. Il avait paru dans France Observateur sous le titre «J'étais professeur en Algérie», le 27 octobre 1960, jour de la première grande manifestation de l'Unef (Union nationale des étudiants de France) contre la guerre, qui s'était heurtée, à la Mutualité, à de violentes charges de police. J'y étais, et Jean-François Revel, un de mes plus proches amis, m'y avait accompagné; nous y avions rencontré Christian Bourgois, qui avait commencé à publier ce dernier chez Julliard, et nous nous étions tous trois repliés, le soir, chez Françoise Cachin, boulevard Saint-Michel. Bourgois venait d'entrer chez René Julliard, et c'est lui qui, pour avoir apprécié le texte qu'il avait découvert le matin, m'a poussé à le développer: «On sent que vous avez beaucoup plus à dire.» Revel s'était emballé. Ayant lui-même assisté en Algérie, en 1948, aux élections truquées par les colons et le gouverneur général Naegelen, il proposa, pour m encourager, que nous écrivions un livre à deux voix: 1948-1958, l'Algérie à dix ans d'intervalle. «Mais faites vite, nous dit Bourgois, la guerre peut se terminer.» Je rentrais aussitôt à la fondation Thiers - où je venais d'être nommé pensionnaire pour y travailler, en principe, à une thèse sur le parti colonial fiançais avant 1914 -et rédigeai d'un trait, pour l'envoyer à Revel, le premier chapitre, intitulé «Ici la France». Il donnait la note de ce mélange d'expérience vécue et d'analyse historique en se concentrant sur les ambiguïtés de ce supernationalisme illusoire et flamboyant, sur cette installation inconsciente dans une situation qu'il fallait toujours maintenir et consolider et qui tenait à la fois d'une indéniable appartenance nationale protectrice et d'une domination coloniale inavouée. La France, mais une drôle de France, confortée à l'époque par l'omniprésence d'une armée composée du contingent, mais encadrée par des officiers de retour d'Indochine et tout imprégnée des théories fumeuses de la guette révolutionnaire.
Avec sa fougue naturelle et sa générosité intellectuelle, Jean-François m'encouragea vivement à continuer seul: «Je te préviens, me dit-il, un livre, c'est une disposition d'esprit. Reste ferme. Ne fais aucune concession.» C'était un avertissement de polémiste, mais il croisait une recommandation que je m'étais déjà faite et que je me suis souvent répétée pat la suite comme historien du contemporain, qui travaille sur le vivant.
Ce parti pris de rigueur et de distance avait deux conséquences pour l'analyse historique de la situation. La première était de se refuser au sentimentalisme compassionnel qui nous avait valu, au nom de la solidarité inconditionnelle avec «nos compatriotes d'Algérie», l'enlisement dans le statu quo et le piétinement politique. Depuis la reculade de Guy Mollet devant les tomates des Français d'Algérie, le 6 février 1956, alors qu'il était le président du Conseil d'un Front républicain élu pour négocier une paix en Algérie, jusqu'aux successifs gouverneurs généraux de gauche, Soustelle, Lacoste, dépêchés à Alger avec les meilleures intentions et qui, une fois sur place et devant la violence du conflit et les horreurs commises par les fellaga, s'étaient convertis à la défense prioritaire de nos compatriotes menacés.
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Par Pierre Nora
Cet essai est né d'un article - mon premier - écrit au retour d'un séjour de deux ans en Algérie, où j'avais été affecté, de 1958 à 1960, après l'agrégation d'histoire, au lycée Lamoricière d'Oran. Il avait paru dans France Observateur sous le titre «J'étais professeur en Algérie», le 27 octobre 1960, jour de la première grande manifestation de l'Unef (Union nationale des étudiants de France) contre la guerre, qui s'était heurtée, à la Mutualité, à de violentes charges de police. J'y étais, et Jean-François Revel, un de mes plus proches amis, m'y avait accompagné; nous y avions rencontré Christian Bourgois, qui avait commencé à publier ce dernier chez Julliard, et nous nous étions tous trois repliés, le soir, chez Françoise Cachin, boulevard Saint-Michel. Bourgois venait d'entrer chez René Julliard, et c'est lui qui, pour avoir apprécié le texte qu'il avait découvert le matin, m'a poussé à le développer: «On sent que vous avez beaucoup plus à dire.» Revel s'était emballé. Ayant lui-même assisté en Algérie, en 1948, aux élections truquées par les colons et le gouverneur général Naegelen, il proposa, pour m encourager, que nous écrivions un livre à deux voix: 1948-1958, l'Algérie à dix ans d'intervalle. «Mais faites vite, nous dit Bourgois, la guerre peut se terminer.» Je rentrais aussitôt à la fondation Thiers - où je venais d'être nommé pensionnaire pour y travailler, en principe, à une thèse sur le parti colonial fiançais avant 1914 -et rédigeai d'un trait, pour l'envoyer à Revel, le premier chapitre, intitulé «Ici la France». Il donnait la note de ce mélange d'expérience vécue et d'analyse historique en se concentrant sur les ambiguïtés de ce supernationalisme illusoire et flamboyant, sur cette installation inconsciente dans une situation qu'il fallait toujours maintenir et consolider et qui tenait à la fois d'une indéniable appartenance nationale protectrice et d'une domination coloniale inavouée. La France, mais une drôle de France, confortée à l'époque par l'omniprésence d'une armée composée du contingent, mais encadrée par des officiers de retour d'Indochine et tout imprégnée des théories fumeuses de la guette révolutionnaire.
Avec sa fougue naturelle et sa générosité intellectuelle, Jean-François m'encouragea vivement à continuer seul: «Je te préviens, me dit-il, un livre, c'est une disposition d'esprit. Reste ferme. Ne fais aucune concession.» C'était un avertissement de polémiste, mais il croisait une recommandation que je m'étais déjà faite et que je me suis souvent répétée pat la suite comme historien du contemporain, qui travaille sur le vivant.
Ce parti pris de rigueur et de distance avait deux conséquences pour l'analyse historique de la situation. La première était de se refuser au sentimentalisme compassionnel qui nous avait valu, au nom de la solidarité inconditionnelle avec «nos compatriotes d'Algérie», l'enlisement dans le statu quo et le piétinement politique. Depuis la reculade de Guy Mollet devant les tomates des Français d'Algérie, le 6 février 1956, alors qu'il était le président du Conseil d'un Front républicain élu pour négocier une paix en Algérie, jusqu'aux successifs gouverneurs généraux de gauche, Soustelle, Lacoste, dépêchés à Alger avec les meilleures intentions et qui, une fois sur place et devant la violence du conflit et les horreurs commises par les fellaga, s'étaient convertis à la défense prioritaire de nos compatriotes menacés.
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EAN
9782267024234
Caractéristiques
EAN | 9782267024234 |
---|---|
Titre | Les Français d?Algérie. Edition revue et augmentée |
Auteur | Nora Pierre |
Editeur | BOURGOIS |
Largeur | 125mm |
Poids | 309gr |
Date de parution | 15/11/2012 |
Nombre de pages | 340 |
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