LE CABARET DU CHAT NOIR A MONTMARTRE (1881-1897)

OBERTHUR MARIEL

SLATKINE

LE CHAT NOIR DU BOULEVARD ROCHECHOUART

Un soir de novembre 1881, une grande agitation règne boulevard Rochechouart. Rodolphe Salis fête joyeusement l'ouverture du Chat Noir, son cabaret. L'événement aurait pu passer complètement inaperçu, si, pour l'occasion, il n'avait invité tous ses amis, poètes et artistes et ne leur avait dit: «Je fonde un cabaret artistique boulevard Rochechouart, au 84. Voulez-vous assister au dîner d'ouverture?» Par curiosité et par amusement, beaucoup sont venus voir ce peintre à la barbe rousse qui a l'intention de devenir cabaretier. Et ce soir-là ce ne sont qu'éclats de rire, cris joyeux et chansons, bruits de verre qui résonnent dans tout le quartier.
Rodolphe Salis a choisi délibérément le bas de la colline de Montmartre, un quartier de plus en plus animé, devenu, selon Willette, «l'asile des poètes, des artistes fuyant la mêlée des gens sérieux qui se débattent dans la boue des affaires», ce qui fait dire à Salis: Montmartre est «le cerveau du monde».
Le lieu, au coeur d'un quartier en pleine effervescence, tout proche du bal de l'Elysée Montmartre où la Goulue déchaîne déjà le public chaque fois qu'elle danse, est bien choisi mais surprend. Pourquoi donc avoir quitté le quartier Latin et les frasques des étudiants pour le bas de la colline de Montmartre? Il est vrai que l'endroit n'est plus inaccessible, ni lointain. Le boulevard Rochechouart qui suit le tracé de l'ancien mur d'octroi récemment démoli a été aménagé. Un large terre-plein planté d'arbres sépare les deux chaussées où circulent les fiacres, et les Parisiens n'ont plus trop peur de s'y hasarder, rassurés par la lumière des quelques réverbères qui y sont installés.
Non loin, place des Martyrs, au cirque Fernando, les clowns, les acrobates et la fameuse Miss Lala que Degas admire tant, attirent un très nombreux public. Un peu plus loin, la place Pigalle connaît une grande animation; la place est le terminus du nouvel omnibus Pigalle-Halle aux vins qu'empruntent beaucoup d'étudiants venant de la Rive Gauche; c'est aussi place Pigalle que se tient le lundi le marché aux modèles, car ces femmes que les peintres viennent choisir là sont bien souvent des blanchisseuses du quartier de Jussieu. Quant aux bourgeois venus boire un verre à La Nouvelle Athènes et au Rat Mort et vivre les interminables discussions des peintres de leur génération, des habitués de ces cafés, ils prennent aussi le Pigalle-Halle aux vins.
Sur la Butte, il a toujours existé une tradition de bals, de guinguettes, et les Parisiens ont depuis longtemps pris l'habitude de venir danser au Moulin de la Galette. Après la guerre de 1870 et surtout dans les dernières décennies du siècle, de nombreux cafés s'installent de chaque côté des boulevards. Les cafés vont faire la renommée de ce quartier dans les dernières années du siècle. Assurément leur rôle dans la vie des Parisiens est très important.
À quelques pas du boulevard Rochechouart, avenue Trudaine au coin de la rue des Martyrs, il y a La Grande Pinte où Salis a ses habitudes. Salis aime l'ambiance de ce café dont les murs sont couverts de palettes, celles de Manet, Pissarro, peut-être Sisley. Cela lui rappelle le décor des ateliers d'artistes: banquettes de velours d'Utrecht, grandes tables et chaises en bois et beaucoup d'objets sur les meubles et aux murs. La rencontre de Rodolphe Salis et d'Emile Goudeau, accompagné de quelques Hydropathes, s'est passée là dans ce décor de la Grande Pinte fin novembre 1881. Dans Dix ans de Bohème, Goudeau raconte la fameuse soirée avec Salis: «J'étais assis depuis quelques minutes lorsqu'une joyeuse bande fit une entrée. C'étaient quelques Hydropathes montmartrois, le peintre René Gilbert, le géant Parizel et celui-ci et celui-là; ils vinrent s'asseoir, près de moi. Tout à coup Gilbert me dit en désignant un jeune homme robuste blond fauve qui les accompagnait:
«Tu ne connais pas Rodolphe Salis?
- Non, fis-je
- Vous n'êtes jamais venu aux Hydropathes?
- Jamais, je fais de la peinture à Cernay, loin des rumeurs de la ville répond l'homme.»
À la Grande Pinte Salis est fasciné par la personnalité accueillante du propriétaire, un certain Laplace, un homme original, marchand de tableaux, et de plus, habitué des ateliers qui a su réunir peintres et les poètes. Il aurait dit un jour à sa concierge: «Voici cent sous pour ne jamais me dire bonjour, ni bonsoir.»

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EAN
9782051020374
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