L'Extrême-Orient. L'invention d'une histoire et d'une géographie

Pelletier Philippe

FOLIO

L?Extrême-Orient fascine les Européens, et les Occidentaux en général. C?est logique: ce
sont eux qui l?ont inventé. Il inquiète aussi, car confusément pour beaucoup et consciemment
pour ceux qui ont la chance ou les moyens d?y voir de plus près, c?est là que se joue, semble-t-il, l?avenir du monde. La première occurrence de l?expression d?Extrême-Occident en français remonte probablement aux frères Reclus, au début du XXe siècle, lorsqu?ils comparent les deux
« rivages maritimes » à l?ouest et à l?est du continent eurasiatique. Le sens double du mot « extrême » en français favorise les formulations tranchées. Partons de ce constat: l?Extrême-Orient incarnerait non seulement une extrémité physique de l?Orient mais aussi la quintessence même de celui-ci, son aboutissement au sens propre comme au sens figuré. Or cet Orient est indissoluble de l?Occident. En partant de l?Extrême-Orient, l?analyse renvoie donc à la question d?ordre plus général de définition des grands ensembles du type Orient et Occident, de leur nature: géographique, culturelle, politique? Réelle ou métaphorique? et de leurs limites. C?est l?Occident qui vient perturber le monde sinisé, d?abord au XVIe puis au XIXe siècle pour les temps le plus forts, pas le contraire. Jusque-là, la Chine et ses pays voisins se passent parfaitement de l?Europe et de l?Amérique. Ils auraient poursuivi leur cours sans en avoir besoin, donc sans mimétisme ni quête de modernisation. Confrontés à un rapport de force, ils doivent s?adapter à la nouvelle donne, laquelle est imposée de l?extérieur mais qui trouve aussi ses relais à l?intérieur, dans les sociétés locales. L?Occident ne peut être ni dédouané, ni exonéré de cette géohistoire. En outre, c?est précisément la réponse différenciée des sociétés d?Asie orientale face à la perturbation occidentale qui aggrave le déséquilibre puisqu?elle s?opère en décalage entre les différents pays asiatiques. Le Japon réagit ainsi plus vite, et plus brutalement, que ses voisins. Mais il impose à son tour sa domination et son exploitation, en prenant nommément exemple sur la démarche coloniale de l?Occident. On en voit encore les traces et les conséquences dans toute la région. Nier la responsabilité occidentale, surestimer les vertueux agents de commerce et sous-estimer les canonnières, aboutirait d?ailleurs paradoxalement à légitimer le discours impérialiste du Japon, et son succédané révisionniste actuel. Les deux cherchent en effet à justifier la dérive colonisatrice japonaise et ses excès par la nécessité de lutter contre la domination occidentale, « l?oppresseur blanc », et en faveur de la « libération des peuples d?Asie ». La démarche de ce livre ne s?appuie donc pas sur une position européo-centriste ou occidentalo-centriste qui viserait à en tirer spécifiquement profit, mais bien d?une posture universaliste, en termes d?analyse, de réflexion, de pistes pour la pensée et l?action, même si, en questionnant l?Orient et l?Asie, elle pousse à s?interroger, en creux, sur les réalités de l?Europe et de l?Occident. Cette exigence est cruciale vis-à-vis d?un post-modernisme qui, à force de déconstruire le modèle supposé européen ou occidental, prétend remettre en cause la philosophie des Lumières ou de la raison tout en oubliant l?apport, sur ce plan, des autres sociocultures, dont celles de l?Asie orientale. Elle passe par un ré-examen des grandes catégories comme continents, nations ou civilisations qui rencontre la métagéographie.

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EAN
9782070356744
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