Francesca, la maitresse de Borgia

Prélude

Montségur, France Mars
1244

- Hélène! Où es-tu?
La voix de la femme porta par-delà les murs de pierre rugueux, dans la cour vide, qui se situait au centre de la forteresse perchée en haut d'un rocher escarpé. Ils furent plusieurs à se retourner pour l'observer, mais elle les ignora.
- Hélène!
- Je suis ici, maman!
L'enfant, qui dut baisser la tête pour sortir de l'une des nombreuses grottes trouant la roche ici et là, ployait sous le poids d'un seau d'eau qu'elle venait de tirer de la citerne dissimulée à l'intérieur. Elle était petite et efflanquée pour une fillette de sept ans, et les couches de lainages en lambeaux qu'elle portait ne la protégeaient absolument pas du vent glacial. Cela ne l'empêcha pas de sourire en voyant sa mère.
- Regarde, s'exclama-t-elle en sortant de sous sa cape un quignon de pain. Bonne Dame Jeannine me l'a donné pour l'avoir aidée à tirer l'eau.
- On va te trouver un peu de bouillon pour tremper dedans, lui répondit sa mère. Mais d'abord, il faut aller à l'intérieur.
À cet instant précis, des cris se firent entendre sur les flancs de la colline, en contrebas de la forteresse. La femme empoigna brusquement la main de son enfant, et se mit à courir. Plusieurs autres qui se trouvaient à proximité firent de même, mais quelques-uns (hommes et femmes) restèrent là où ils étaient, à découvert. Le visage serein, ils priaient.
Un énorme boulet en pierre fendit l'air et alla heurter le mur d'enceinte de la forteresse. Puis, ce fut le déluge. L'un des projectiles éclata en mille morceaux sur le sol, et un fragment toucha une femme. Elle rejeta violemment le haut du corps en arrière, et au même moment du sang jaillit de son crâne. Elle tomba et ne se releva pas.
Hélène, la petite fille, courait en se cramponnant tant bien que mal au seau d'eau pour ne pas en renverser, mais sa mère le lui arracha sans ménagement et le jeta de côté. Elles arrivèrent devant l'entrée d'une grotte et s'y engouffrèrent au moment même où un autre boulet s'abattait, à quelques mètres de là seulement. Le bombardement continua ainsi pendant plus d'une heure, sans répit. Regardant par une ouverture, l'enfant vit plusieurs autres personnes qui ne s'étaient pas mises à l'abri se faire tuer. Cette vision la terrifia.
Sa mère l'attira à elle, et lui tint la tête contre sa poitrine en lui caressant doucement les cheveux.
- N'aie pas peur, ma petite. Tu sais qu'ils font partie des parfaits et que la douleur de la mort ne les atteint pas. Ils l'embrassent, au contraire, car ils savent qu'ils seront libérés à jamais du cycle des renaissances dans le monde mauvais. Ils suivent la voie de la lumière, qui les mènera vers le royaume éternel du vrai Dieu bon.
Elle se recula un peu, sourit à l'enfant.
- Nous devons nous réjouir pour eux.
- Et Père? Est-ce qu'il va mourir?

(...)