Le dilemme du prisonnier
Powers Richard - Pellegrin Jean-Yves
10 X 18
Extrait
Le premier signe indiquant que Papa n'avait pas eu de simples hallucinations pendant toutes ces années apparut quelques semaines avant la fin quand, penché sur Artie, au balcon d'un soir d'automne, il avait prononcé distinctement le mot «Calamine». Père et fils étaient allés s'asseoir après le dîner derrière les moustiquaires de la véranda pour faire escorte au mois de novembre. Ils goûtaient en silence l'une de ces soirées qui, accrochées à la pointe des quinze degrés, pouvaient sans mal perdre ou gagner dans l'heure même cinq graduations. Artie s'était octroyé le fauteuil à bascule tandis que son père régnait, comme à son habitude, en monarque absolu sur le pucier de kapok relégué de longue date sous la véranda, car chez Hobson & Cie - entrepôt de tout ce que la famille ait jamais possédé en vingt ans-, le moindre mètre cube de fourbi supplémentaire eût fait rendre gorge à toutes les portes et fenêtres.
Le silence les avait conduits jusque-là, et Artie ne voyait aucune raison d'y retoucher. Il s'efforça d'attribuer le marmottement de son père à un spasme incontrôlable du cortex cérébral, première pousse de salade verbale associée au retour de l'automne. Il crut un instant pouvoir se soustraire au mot, le laisser tomber en terre et se fondre aux relents des vers et à l'humus de novembre. Mais Artie n'avait nulle cachette où échapper au Vieux que celui-ci ne lui eût lui-même indiquée. Les phalanges postées sur l'arête du nez, il se prépara donc à ce qui s'annonçait :
- Qu'est-ce que tu dis, Papa ? demanda-t-il.
- Tu m'as bien entendu. Calamine. Je dis ce que je pense et je pense ce que je dis. Ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est la difficulté qui fait le chemin. Il faut manger pour vivre et non...
- Ça va, Papa, j'ai pigé.
Artie avait pris les devants sans délai car, une fois sorti de l'enclos verbal, Edward Hobson père pouvait déblatérer ainsi toute la nuit sans écorner son talent pour la libre association. Au bout d'un quart de siècle, Artie reconnaissait les symptômes. Vu l'état du pèlerin, lui demander de but en blanc ce qu'il voulait dire était peine perdue. Artie tenta une reconstitution : Calamine, oxyde de zinc, iode... rien dans cette direction. L'invocation du Vieux n'était certainement pas une requête médicale. Papa exécrait tous les médicaments. Son mal à lui n'était pas ainsi bénin ou local qu'une dermatite, même si en société, et dans l'intention expresse de faire rougir les Hobson qui l'accompagnaient, on l'avait déjà entendu chanter : «Aller sans la peau sur les os, c'est plutôt rigolo, Comme de faire des claquettes quand on est un squelette.»
Artie s'enfonça dans le fauteuil à bascule, plus qu'il n'était prudent de le faire. Les mains sous l'occiput, il essaya encore de remonter le cours des pensées dissimulées derrière la devinette de son père. Calamine, calamité, calembour. Peut-être. Possible. Allez savoir. Un peu pour empêcher le Vieux de disperser dans l'air un nuage d'indices supplémentaires, Artie déclara : «Nos équipes sont à l'ouvrage.»
--Ce texte fait référence à l'édition
Broché
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9,60 €
Disponible sur commande
EAN
9782264063403
Caractéristiques
EAN | 9782264063403 |
---|---|
Titre | Le dilemme du prisonnier |
Auteur | Powers Richard - Pellegrin Jean-Yves |
Editeur | 10 X 18 |
Largeur | 111mm |
Poids | 275gr |
Date de parution | 02/10/2014 |
Nombre de pages | 525 |
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