Mai 68 et ses vies ultérieures

Ross Kristin - Vignaux Anne-Laure

AGONE

Parmi les événements politiques qui ont secoué la planète dans les années 1960, l'expérience française a été unique. En effet, pour un court moment, étudiants et travailleurs se sont alliés pour produire l'unique insurrection « générale » que le monde développé ait connue depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ce que l'on désigne aujourd'hui comme « les événements de Mai 68 » constitue en fait le plus vaste mouvement de masse de l'histoire française et la plus grande grève de l'histoire du travail en France. Les trois cibles politiques de l'insurrection étaient, à l'époque, clairement déterminées: il s'agissait de l'impérialisme américain, du capitalisme et du gaullisme. Vingt ans plus tard, toutefois, l'image de Mai 68 qui faisait l'objet d'un consensus presque parfait en France était celle d'un drame générationnel dénué de violence, d'une révolte de la jeunesse pacifique et bon enfant, d'une poussée d'individualisme narcissique - bref, rien de plus qu'une bénigne transformation de moeurs, de culture et de style de vie. Mai 68 et ses vies ultérieures offre une analyse critique de la façon dont la mémoire officielle de 1968 a été façonnée pour servir des intérêts politiques étrangers aux aspirations propres du mouvement. Il examine le rôle joué par le discours sociologique, par certains exleaders estudiantins repentis, désireux de se réconcilier avec la culture politique dominante, par le flot de commémorations télévisées diffusées en France dans les années 1970 et 1980 et par l'émergence d'un nouveau discours éthique entourant les droits de l'homme; autant d'éléments qui ont contribué à réduire ce qui pouvait être dit ou même pensé au sujet de la culture politique de gauche des années 1960 à un petit nombre de tropes et de clichés. Il montre ainsi comment un mouvement éminemment politique, avant tout soucieux d'égalité, s'est vu assigner une histoire totalement neuve et contrefaite, qui a rayé du tableau la violence policière, les décès de participants, l'adhésion des travailleurs et, surtout, gommé toute trace d'anti-américanisme et d'anti-impérialisme ainsi que les influences de l'Algérie et du Vietnam. Pour contrer ceux qui voudraient attribuer une dimension purement spirituelle et culturelle à Mai 68, Kristin Ross retourne au langage politique du mouvement, préservé dans les tracts, les pamphlets et les films documentaires de l'époque, et évoque les traces d'un climat, d'une configuration sociale et d'une subjectivité politiques particulières, oubliées par ceux qui, plus tard, ont prétendu incarner la vérité officielle du mouvement. La culture politique de 1968, selon l'auteur, se manifeste dans la destruction d'identités sociales, dans les déplacements physiques qui ont entraîné les participants en dehors de leur place dans la société, dans la création, enfin, d'une disjonction entre subjectivité politique et groupe social d'appartenance. Les dimensions profondément politiques de Mai 68, suggère-t-elle, ne sont redevenues partiellement perceptibles que très récemment, à la suite de la réémergence d'un mouvement politique de masse opposé aux effets du capitalisme global (Seattle, grèves de 1995 en France).

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EAN
9782748901320
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