L'humanité augmentée. L'administration numérique du monde

Sadin Eric

ECHAPPEE

HAL, FIGURE (PARTIELLEMENT) PRÉMONITOIREL'infini astral sensible sur l'écran: «Mission Jupiter 18 mois plus tard» se superpose en lettres capitales lactées sur un fond obscur ponctué d'étoiles. La proue d'un module spatial pointe progressivement, sa masse semble s'étirer sans fin par le fait d'une taille visiblement gigantesque et d'une vitesse probablement abyssale, dont on infère la mesure par une perception opérée à l'inverse en quelque sorte, sous un mouvement paradoxal d'une lenteur hiératique, accentué par la suite lancinante de Gayaneh à l'ampleur cosmique composée par Aram Khatchaturian. Chorégraphie majestueuse et solitaire du vaisseau à l'architecture sophistiquée et longiligne, enveloppée d'une peau laiteuse immaculée, frappée par une lumière solaire invariable dans la torpeur de l'Espace. Tout signale que la Terre des origines se situe dans une autre sphère du Cosmos, pour une odyssée déjà embarquée vers un ailleurs incommensurable à notre intelligence.À l'intérieur, un homme s'adonne à un footing le long d'une galerie entièrement repliée sur elle-même - à 360° -, structure analogue à celle d'une roue de souris, composant l'allée centrale d'une vaste chambre blanche tout autant circulaire. Corps composé de chair recherchant la dépense physique, néanmoins immergé au sein d'un milieu de part en part artificiel, exaltant un contraste, ou une hybridation désormais sensible et généralisée dans les salles de fitness hautement équipées qui rythment toujours plus densément l'urbanité globale contemporaine. L'environnement intègre une multitude d'écrans, de voyants lumineux, de sièges au design approprié, et quelques caissons, dont on ne sait s'il s'agit là de lits dédiés aux séquences de sommeil soumises à l'apesanteur, ou d'inquiétants sarcophages destinés à de sombres perspectives toujours probables.Ce qui marque ici: c'est la tension entre l'élan vital de la course et la sophistication machinique ambiante, formant comme une unité indivisible, l'un l'autre en symbiose; harmonie intensifiée par une lumière bleutée qui mêle sous une même irradiation physiologie humaine et dispositifs techniques, dans un halo commun ou un plasma partagé-organico-synthétique. Sensation générale amplifiée par le «glissement» fluide de la caméra, qui suit de façon homothétique ou rotatoire les girations continues du parcours, supposant en creux l'absence de focale, par la grâce d'un mouvement semblant flotter ou se jouer de tout support physique.En écho à cette large structure oblongue, apparaît une forme circulaire indéterminée, dont le noyau émet une lueur orangée, de toute part cernée de rouge. Dispositif protégé par une plaque de verre, dont on devine qu'il s'agit probablement d'une machine de calcul, d'un ordinateur, ou plus exactement d'un «cerveau électronique», opérant lui-même un mouvement giratoire continu, peut-être voué à saisir à la trace les oscillations de l'homme dans sa course. Sensation en partie confirmée par le reflet discret mais persistant de sa silhouette sur la surface de «l'objectif», chacun dessinant à l'unisson l'un de l'autre une trajectoire concentrique. Est-ce le corps qui détermine les mouvements de rotation de l'appareil, ou règle-t-il au contraire sa cadence d'après les lois dictées par le système? À ce stade, aucune réponse ne s'offre comme pleinement assurée.

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EAN
9782915830750
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