Montherlant ou l'indignation tragique
L'INDIGNATION TRAGIQUE
«On m'a reproché quelquefois de n'avoir pas beaucoup d'amour, mais j'ai de l'indignation, qui est une forme d'amour.»
Montherlant (Service inutile)
Les écrivains ne se démodent que dans l'esprit de ceux qui ne les ont pas lus, ou qui les ont mal compris. On connaît l'antienne contemporaine: On ne lit plus Gide, on ne lit plus Mauriac, on ne lit plus Montherlant. À peine Malraux - avec Proust et Claudel - survit-il à cette affectation d'ignorance, mais c'est parce qu'il fut ministre. Lorsqu'on passe dans le posthumat, les lecteurs ne sont plus les mêmes - moins nombreux, mais plus sérieux. La mode est une imposture redoutable, mais ôte-t-elle au goût d'hier son charme exemplaire? Ce n'est pas seulement le style qui change, mais les affects qui le forment. Tout style est une mémoire. Que saurions-nous des multiples facettes du Grand Siècle sans Corneille, Racine, Molière? Il y a toujours, à un moment donné, un déclin: le théâtre de Voltaire, ses poèmes épiques, sont nuls ou à peu près. La culture qui a inspiré Gide, Mauriac, Montherlant, n'est plus transmise, d'où l'actuelle difficulté, pour certains, de pénétrer leur oeuvre; d'où aussi la nécessité de le faire si l'on veut vivre autrement qu'en vaguant au fil de l'eau. Ce qui est vrai, et triste, c'est que l'écriture traverse aujourd'hui une passe difficile; la toile, dont raffolent les gogos, fait pour l'écriture figure de toile d'araignée. Je vous avertis que les analyses les plus lucides ne comportent pas de remède; le remède est en nous. Il faut savoir s'échapper, au prix de quelque solitude, prendre les modes comme elles sont - légères et éphémères. Le risque est de paraître dédaigneux, qu'importe?
Les tourments qui ont fait l'oeuvre de Gide ne sont plus très actuels. Ceux qui ont fait l'oeuvre de Mauriac n'habitent plus, ou si peu, la religion chrétienne, sécularisée au point d'avoir pu être comparée par un crétin à une ONG. Nous barbotons dans cette confusion des genres: on dit que nos repères (mot très utilisé) se sont perdus dans cette légèreté de l'air du temps. S'il est un écrivain qui fut lucide quant à son posthumat, c'est bien Montherlant. Quoi de plus naturel que de vouloir se survivre? C'est une angoisse que connaissent même ceux qui n'ont pas d'oeuvre. L'écrivain, l'artiste en général, sait que rien n'est périssable comme son oeuvre. L'immortalité a ses secrets. Mais les siècles se tiennent par un fil mystérieux qui ne se rompt jamais tout à fait: disons continuité à défaut d'immortalité. Montherlant a été élevé dans la religion chrétienne dont, agnostique de bonne foi, il a tiré de merveilleuses évocations. Et dans une autre religion, séculière, qui était le patriotisme - cet attachement fol, mais «pas plus que tout amour». Le patriotisme fut la religion exaltée par la Grande Guerre, dont l'évocation imprime ses premières oeuvres - l'exil, le songe, le chant funèbre... Et tout incroyant qu'il fut, Montherlant a été affecté profondément par le désamour du christianisme. Quant à la patrie... Il note dans Tous Feux éteints: «Avoir vu mourir en soixante-quinze ans, une nation et une religion». Caton paraît dans cette amertume.
«On m'a reproché quelquefois de n'avoir pas beaucoup d'amour, mais j'ai de l'indignation, qui est une forme d'amour.»
Montherlant (Service inutile)
Les écrivains ne se démodent que dans l'esprit de ceux qui ne les ont pas lus, ou qui les ont mal compris. On connaît l'antienne contemporaine: On ne lit plus Gide, on ne lit plus Mauriac, on ne lit plus Montherlant. À peine Malraux - avec Proust et Claudel - survit-il à cette affectation d'ignorance, mais c'est parce qu'il fut ministre. Lorsqu'on passe dans le posthumat, les lecteurs ne sont plus les mêmes - moins nombreux, mais plus sérieux. La mode est une imposture redoutable, mais ôte-t-elle au goût d'hier son charme exemplaire? Ce n'est pas seulement le style qui change, mais les affects qui le forment. Tout style est une mémoire. Que saurions-nous des multiples facettes du Grand Siècle sans Corneille, Racine, Molière? Il y a toujours, à un moment donné, un déclin: le théâtre de Voltaire, ses poèmes épiques, sont nuls ou à peu près. La culture qui a inspiré Gide, Mauriac, Montherlant, n'est plus transmise, d'où l'actuelle difficulté, pour certains, de pénétrer leur oeuvre; d'où aussi la nécessité de le faire si l'on veut vivre autrement qu'en vaguant au fil de l'eau. Ce qui est vrai, et triste, c'est que l'écriture traverse aujourd'hui une passe difficile; la toile, dont raffolent les gogos, fait pour l'écriture figure de toile d'araignée. Je vous avertis que les analyses les plus lucides ne comportent pas de remède; le remède est en nous. Il faut savoir s'échapper, au prix de quelque solitude, prendre les modes comme elles sont - légères et éphémères. Le risque est de paraître dédaigneux, qu'importe?
Les tourments qui ont fait l'oeuvre de Gide ne sont plus très actuels. Ceux qui ont fait l'oeuvre de Mauriac n'habitent plus, ou si peu, la religion chrétienne, sécularisée au point d'avoir pu être comparée par un crétin à une ONG. Nous barbotons dans cette confusion des genres: on dit que nos repères (mot très utilisé) se sont perdus dans cette légèreté de l'air du temps. S'il est un écrivain qui fut lucide quant à son posthumat, c'est bien Montherlant. Quoi de plus naturel que de vouloir se survivre? C'est une angoisse que connaissent même ceux qui n'ont pas d'oeuvre. L'écrivain, l'artiste en général, sait que rien n'est périssable comme son oeuvre. L'immortalité a ses secrets. Mais les siècles se tiennent par un fil mystérieux qui ne se rompt jamais tout à fait: disons continuité à défaut d'immortalité. Montherlant a été élevé dans la religion chrétienne dont, agnostique de bonne foi, il a tiré de merveilleuses évocations. Et dans une autre religion, séculière, qui était le patriotisme - cet attachement fol, mais «pas plus que tout amour». Le patriotisme fut la religion exaltée par la Grande Guerre, dont l'évocation imprime ses premières oeuvres - l'exil, le songe, le chant funèbre... Et tout incroyant qu'il fut, Montherlant a été affecté profondément par le désamour du christianisme. Quant à la patrie... Il note dans Tous Feux éteints: «Avoir vu mourir en soixante-quinze ans, une nation et une religion». Caton paraît dans cette amertume.
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EAN
9782705670825
Caractéristiques
EAN | 9782705670825 |
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Titre | Montherlant ou l'indignation tragique |
Auteur | Saint Robert Philippe de |
Editeur | HERMANN |
Largeur | 140mm |
Poids | 500gr |
Date de parution | 13/11/2012 |
Nombre de pages | 396 |
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