Transwonderland. Retour au Nigéria

Saro-Wiwa Noo - Pertat Françoise

HOEBEKE

Centre d'excellenceLagosL'avion transperça la couverture nuageuse et survola à basse altitude une mer de palmiers qui se transforma soudain en une succession de toits métalliques, à l'infini. Toujours oppressée, comme si une chape de plomb pesait sur ma poitrine, je traversai l'aéroport, qui sentait le renfermé, et gagnai la sortie, pour tomber dans l'embuscade de l'odeur lourde du pétrole, si familière et si puissante.Pour décrire le caractère de notre plus grosse ville, les Nigérians se plaisent à raconter une anecdote pleine d'ironie: un homme descend de l'avion et lit sur un panneau: «Vous êtes à Lagos.» Aucun soupçon de bienvenue, dans ce message, et pas plus de mise en garde (puisqu'une telle attitude impliquerait que les autorités se soucient de votre sécurité). En fait, le panneau lui annonce avec indifférence qu'il met le pied dans la ville à ses risques et périls: une façon de se décharger de toutes les mésaventures qu'il pourrait y vivre. Si vous ne pouvez pas supporter la dureté sordide, intransigeante, alors poursuivez votre route, la queue entre les jambes, parce que ici, «vous êtes à Lagos»: prenez la cité telle qu'elle est ou décampez!Les habitants de Lagos sont les premiers à se plaindre que leur ville est une calamité par manque d'urbanisme: surpopulation, conducteurs agressifs, embouteillages monstres, sentiment d'urgence permanent, vols à main armée, égouts qui débordent - tout cela contigu à des poches de splendeur et de richesse acquises de façon douteuse. Si Lagos était une personne, elle porterait une veste Gucci, aurait des extensions de cheveux bon marché, un téléphone portable dans une main, un autre dans sa poche arrière et une mine renfrognée. Avec un geste d'impatience, elle vous ferait franchir le seuil de sa maison en vous extorquant un prix exorbitant, avant de vous jeter au sol et de vous flanquer une raclée pour avoir pris trop de temps:- Vous êtes à Lagos! grognerait-elle en cherchant dans vos poches un supplément d'argent liquide.J'entrai en ville avec cette image en tête, vigilante jusqu'à en être paranoïaque, ma carte bleue enfouie dans mon soutien-gorge et quelques billets de banque de secours pliés dans mes chaussures. A plusieurs reprises, on m'avait prévenue que le danger pouvait surgir à n'importe quel moment, et conseillé de voir en chacun un prédateur potentiel. Mais en réalité, le panneau qui défila sous mes yeux, avec son air tranquille tout au long du trajet, fut un «Bienvenue à Lagos» chaleureux et optimiste, que je pris d'abord comme une mauvaise plaisanterie, lancée sur un ton sarcastique, tout comme ces plaques minéralogiques, qui me doublaient, où était écrit «cité d'excellence». Cité d'excellence! N'était-ce pas d'un ridicule et d'une suffisance consommés?Tandis que le chauffeur de taxi se dirigeait vers Satellite Town, je m'efforçais de deviner le quartier de la ville que nous traversions. À Lagos, le nom des lieux est surtout dans la tête des gens. Il n'existe pratiquement pas de signes ou de repères distinctifs, rien qu'un tohu-bohu à l'infini d'édifices sans caractère, construits dans les années 1970 pendant le boom de l'industrie pétrolière, d'échoppes de vendeurs de fruits, de toits en tôle ondulée, de bus jaunes bien reconnaissables, de mendiants et de motos, qui se répétait sur des kilomètres et des kilomètres jonchés de détritus dispersés dans toutes les directions, tels des confettis.La publicité sauvage envahissait le moindre mètre carré. Les bâtiments et les lampadaires, même les dessous en pente des nombreux ponts piétonniers, me conjuraient d'acheter tel produit ou d'appeler tel numéro. À la tête de tout ce cirque se déployait une panoplie de despotes en uniforme: des contractuels vêtus en noir; des policiers bombant le torse, en chemise noire et pantalon militaire vert, réglaient la circulation comme s'ils orchestraient une symphonie de klaxons; un individu armé d'un bâton, en habit rouge foncé, faisait avancer les véhicules, leur donnant de grands coups comme s'ils étaient des ânes, avant de cingler avec désinvolture le mollet d'un garçon, au moment où il traversait la route; un homme en uniforme, devant moi, essayait de forcer la portière d'une voiture, avant de reconnaître sa défaite d'un air penaud, devant le conducteur qui l'avait verrouillée de l'intérieur - ici, les policiers étaient à la fois des prédateurs et des gardiens, et tout le monde le savait.

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EAN
9782842304713
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