Études anglaises - N° 4/2012. Octobre-décembre 2012

Tadié Alexis

KLINCKSIECK

Pascal AQUIEN, Sale temps sur Amherst ? : de l'abstraction du réel au primat du signifiant Cet article s'interroge, à partir du concept d'abstraction, sur un poème d'Emily Dickinson, "?An awful tempest mashed the air ?" (1861), dont la thématique conventionnelle, l'évocation d'une tempête et l'apaisement qui s'ensuit, est contredite par son ambiguïté textuelle. D'un côté, l'espoir et la satisfaction du retour à la norme sont posés comme des évidences désirables et désirées, de l'autre les signifiants qui travaillent le texte minent la fausse simplicité du discours. En particulier, le mot paradise, qui conclut le poème, pose problème, et l'analyse détaillée de l'écriture va tenter d'en révéler le sens a priori inattendu. Based on the analysis of the notion of abstraction in "An awful tempest mashed the air, " by Emily Dickinson, the article discusses the poem's conventional dramatic theme, the description of a tempest followed by the restoration of atmospheric order. On the one hand, hope and satisfaction are taken for granted, on the other hand, the signifiers at work in the poem contradict and undermine the artificial simplicity of discourse. Above all, the final word, paradise, involves many issues, both literary and ideological, and the detailed analysis of the poem will try to reveal its unexpected meaning. Michael EDWARDS, Hearing Eliot now Hearing the voice, or voices, that speak in Eliot's poetry becomes more difficult as readings (and especially melancholy readings) of his work accumulate. Listening to what is said and how, in The Waste Land in particular, reveals the pursuit of a voice beyond harm, the countering of negative forces by the sheer resourcefulness of poetry in the making. Eliot's purifying of speech enables an ethical and ontological purification of the person (speaking is being), an unsettling of the self and the discovering of a dangerous and salutary new self. Entendre la voix, ou les voix, qui parlent dans la poésie d'Eliot devient de plus en plus difficile devant l'accumulation d'interprétations (surtout mélancoliques) de son oeuvre. Ecouter ce qui est dit, et comment, c'est découvrir la recherche d'une voix au-delà du malheur, la contestation des forces négatives par le moyen des ressources de la poésie en train de se faire. En purifiant la parole, Eliot tente une purification éthique et ontologique de la personne (l'être vient de la parole), une mise en question et en difficulté du moi, et la rencontre d'un nouveau moi menaçant et salutaire. Jean-Baptiste FROSSARD, Rockaby/Berceuse ou le désir du Verbe Dans Berceuse, Samuel Beckett pose les bases d'un lyrisme nouveau, qui interroge les conditions de possibilité de la représentation théâtrale. L'article propose une étude précise des modalités de construction du texte, qui, au gré d'un double principe de répétition en forme de litanie et d'agrégation progressive des différents syntagmes, parvient à résister à la fragilité de la mémoire et à l'instabilité du sujet. Loin de signaler l'échec du langage, la répétition en constitue ici la célébration, et pose les bases d'un lyrisme sans sujet et sans destinataire, qui transforme le drame en cérémonie poétique. Il s'agira dès lors de comprendre dans quelle mesure la pièce, tiraillée entre les deux pôles génériques du récit et de la poésie, peut encore appartenir au genre dramatique, et si la cérémonie qui s'y déroule ne constitue pas précisément un avènement progressif, et difficile, à l'existence théâtrale. In Rockaby, Samuel Beckett defines a new kind of lyricism, while questioning the very possibility of drama. Through an accurate description of the formal construction of the play, I attempt to show how repetition and generative aggregation join into building up a textual memory. The text is thus able to go on and to resist the failures of the character's unstable being. I argue that repetition no longer signifies the inability of language, but becomes the principle of this new lyricism lacking both subject and addressee. The drama therefore performs a poetic ceremony, but it may be wondered whether Rockaby still belongs to the genre of drama, since it is determined by either poetic or narrative devices. I try to show in the last part of this article that Beckett exhibits through this ceremony the progressive, yet painful construction of a dramatic existence, at a time when the very notions of identity and presence may appear as weakened. Catherine CRIMP "?Germ of all ?" ? : enfants minimalistes chez Samuel Beckett et Louise Bourgeois Cet article met en relation l'enfant de Worstward Ho de Beckett avec quelques tableaux tardifs de Louise Bourgeois, afin d'envisager la hantise de l'enfance chez ces deux artistes sous un jour nouveau. Ecartant toute analyse biographique ou psychanalytique, il étudie le rôle structurel, dans les oeuvres traitées, des figures -d'enfant ? : figures incomplètes, réduites à un minimum. Ces figures tissent des liens inattendus entre Beckett et Bourgeois, entre texte et image, tout en nous laissant deviner le fondement caché de ces liens ? : l'émergence rudimentaire de la forme et du sens sur fond de chaos originel. Aussi, ces portraits minimalistes des débuts de la vie humaine nous confrontent aux paradoxes propres à l'origine des oeuvres elles-mêmes. This article compares the child in Beckett's Worstward Ho with late paintings by Louise Bourgeois, in order to propose a new way of looking at Beckett and Bourgeois's shared obsession with childhood. Moving away from biographical and psychoanalytical considerations, I focus on the structural role of child figures in the works discussed : these figures are incomplete, reduced to a minimum. They trace unexpected links between Beckett and Bourgeois, and between text and image, but they also point to the hidden origin of these links : the rudimentary emergence of form from chaos. These minimalist portraits of the beginnings of human life therefore confront us with the paradoxical nature of the works' own origins. Vanasay KHAMPHOMMALA, Rythmer le chaos ? : l'usage du vers dans l'oeuvre dramatique de Howard Barker "?The art of theatre, in its impatience with the world, utters in its own languages ?" (Death 7). Dans sa recherche d'un nouveau langage tragique, le poète et dramaturge Howard Barker, qui place le rythme au coeur de son travail d'écriture, a progressivement intégré le vers à ses textes dramatiques. Mais ce signe ambigu témoigne en réalité autant de son rapport tendu à une certaine tradition poétique que de son désir de se démarquer de la prose naturaliste qui domine aujourd'hui la scène anglophone. En examinant l'apparition du vers dans l'écriture dramatique de Barker et en dégageant les principes de sa versification, cet article s'efforce de montrer de quelle manière son usage du vers s'efforce paradoxalement de déstabiliser la prosodie traditionnelle pour parvenir à des effets d'arythmie propres à dire le chaos dans lequel évoluent ses personnages. Une attention particulière est prêtée à Gertrude - The Cry (2002), oeuvre clef du dramaturge qui, en même temps qu'elle se ressaisit du Hamlet de Shakespeare, s'efforce de s'affranchir de son lourd héritage poétique. "The art of theatre, in its impatience with the world, utters in its own languages" (Death 7). In his search for a new tragic language, Howard Barker, who places rhythm at the heart of his écriture, has progressively integrated verse in his dramatic texts. This ambiguous sign, however, reflects both his tense relationship to poetic tradition and his desire to move away from the naturalistic prose that has now taken over the English-speaking stage. This paper examines the appearance of verse in Barker's dramatic writing and strives to bring out the principles of his versification, so as to show how, paradoxically, the playwright's use of verse unsettles conventional prosody and creates an arrhythmia that mirrors the chaotic worlds inhabited by his characters. Special attention will be given to Gertrude-The Cry (2002), a key play in Barker's production, which strives to come to terms with both Shakespeare's Hamlet and the heavy burden of its poetic heritage. Erik MARTINY, "?I am hiding from my father/ On the roof of Joyce's tower ?" ? : le père et le précurseur littéraire chez Sharon Olds et Paul Durcan Cet article s'appuie principalement sur l'étude de deux poèmes mettant en scène un poète et son père biologique dans une relation triangulée avec un précurseur littéraire. Il s'agira de voir de quelle manière deux écrivains, la poétesse américaine Sharon Olds et le poète irlandais Paul Durcan, convoquent la présence tutélaire d'un précurseur littéraire sans pour autant céder à la tentation de s'affilier exclusivement à des pères de substitution parmi les grandes figures de la littérature, et sans subir, tout au moins en apparence, la hantise de l'influence. This article focuses mainly on two poems that dramatise the figures of a poet and his father in a triangular relationship with a literary precursor. It examines how two writers, the American poet Sharon Olds and the Irish poet Paul Durcan, summon the tutelary presence of a literary forebear without giving in to the temptation of affiliating themselves exclusively with substitute fathers chosen among the great figures of literature, or seeming to fall prey to the pangs of influence anxiety. Romain NGUYEN VAN, "According to all the authorities" : the uncanny in John Banville's The Sea This article focuses on John Banville's novel, The Sea (2005) and investigates its ambivalent references to psychoanalysis. Using Harold Bloom's concept of "misprision, " I argue that the narrative embodies a provocative rereading of Freudian literature. While challenging the Freudian authority, the narrator's handling of space and particularly of intimate space seems inadvertently to resort to a Freudian reading he had to all appearances dismissed. Drawing on the ambivalence Freud assigns to das Heimliche-the homely-in his 1919 essay "The Uncanny, " I contend that The Sea reluctantly works within the Freudian theory of the "uncanny. " My point is that the uncanny is not merely an impression left with the reader ; it is in fact used as a driving force that gives the novel its contrapuntal structure. I eventually focus on the impact this strategy has on notions of authority, authorship and the definition of the text's "genetic rites" (Maingueneau 121) to dynamically foreground the originality of Banville's writing features and pertinent aspects of his enunciative identity, from Shroud (2002), his previous novel, to The Sea. Cet article est consacré à The Sea (2005), roman de l'écrivain irlandais John Banville, et à son système de références psychanalytiques. Empruntant à Harold Bloom le concept de "lecture erronée" , je montre que le récit repose sur une poétique de mésinterprétation des écrits de Freud. Alors que le narrateur remet en cause leur autorité, sa relation à l'espace et notamment à l'espace intime, semble reprendre une lecture freudienne qu'il se refuse néanmoins à faire. En m'appuyant sur l'ambivalence que Freud assigne à das Heimliche - le familier -dans son essai de 1919, "L'Inquiétante étrangeté" , je cherche à montrer que The Sea fait travailler la théorie freudienne de "l'inquiétante étrangeté" sur le mode de la réticence. Elle n'est alors plus simplement une impression laissée au lecteur ?; elle sert de principe organisateur qui confère au récit sa structure en contrepoints. Je finis par interroger l'impact de cette stratégie sur les notions d'authority et d'authorship, et les "rites génétiques" (Maingueneau) qui les constituent pour mieux mettre en évidence certaines des caractéristiques de l'écriture et de l'identité énonciative de Banville, en comparant The Sea à son roman précédent, Shroud (2002).
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EAN
9782252038475
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