Esclavage et réparations. Comment faire face aux crimes de l'Histoire...

Tin Louis-Georges

STOCK

Extrait de l'introduction

En janvier 2013, coup sur coup, sortaient en salle deux films très importants sur la question de l'esclavage: Lincoln de Steven Spielberg et Django Unchained de Quentin Tarantino.

Après Amistad, Spielberg abordait de nouveau le problème de la traite. Mais il s'intéressait cette fois aux derniers mois de la présidence d'Abraham Lincoln et montrait les efforts de celui-ci pour faire adopter le 13e amendement qui devait imposer dans la Constitution américaine l'abolition de l'esclavage. A côté du président Lincoln, le réalisateur mettait en scène un autre personnage, tout aussi intéressant, sinon plus: Thaddeus Stevens. Incarné par Tommy Lee Jones, Stevens était un élu républicain à la Chambre, qui défendait la cause de l'abolition avec acharnement. Dans une scène brève, et cependant cruciale, il discutait avec Lincoln des mesures qu'il convenait de prendre après le vote du 13e amendement. Selon lui, il fallait mettre en oeuvre des mesures de justice: confisquer les terres et les biens des esclavagistes, les attribuer aux esclaves afin qu'après la liberté, ils obtiennent aussi l'égalité. Bref, même si le mot n'est pas prononcé, Stevens plaidait en faveur des réparations. De fait, les réparations figuraient dans la plate-forme des républicains sur la base de laquelle Lincoln fut élu. Et juste après l'assassinat du président, Thaddeus Stevens fit adopter une loi en faveur des réparations, qui fut votée à la fois par le Sénat et par la Chambre des représentants. Mais le successeur de Lincoln, Andrew Johnson, qui était sudiste et foncièrement raciste, mit son veto, et la loi ne put être appliquée.

D'une manière, certes, fort différente, c'est également la même question qui est posée dans le film de Tarantino: la réparation, principe de toute justice. En effet, Django ne cherche pas la liberté: elle lui est octroyée dès le début du film. Il cherche plutôt à se faire justice. A sa façon, violente et meurtrière, il entend réparer l'outrage subi par son épouse et par lui-même. Libéré par un chasseur de primes, l'ancien esclave se veut désormais justicier, et il entend châtier ceux qui, jadis, l'ont maltraité. Et quand il parvient enfin à délivrer sa bien-aimée Broomhilda, il ne songe pas à fuir: il s'applique à tuer jusqu'au dernier ceux qui avaient enlevé et torturé la jeune femme.
Les deux films se situent dans le même contexte historique: 1858 pour Django, 1865 pour Lincoln, à une époque où l'heure est à la remise en cause de l'esclavage. Par ailleurs, dans un cas comme dans l'autre, il est question de réparer les torts faits aux esclaves. Mais là où Lincoln et Stevens envisagent des solutions politiques et collectives, lesquelles ne purent jamais être appliquées, Django met en oeuvre une réparation individuelle, violente et meurtrière - c'est la réparation, vue par Tarantino. Bien que le fait ait été peu noté par les commentateurs, il est frappant de constater que la question de la réparation est au coeur de ces deux films sur l'esclavage.
Mais la réparation n'est pas seulement un sujet de fiction pour des cinéastes comme Spielberg ou Tarantino. Elle constitue avant tout un enjeu politique concret, aussi vieux que l'esclavage lui-même. En effet, les Africains capturés, déportés et contraints au travail forcé dans les colonies d'Amérique ou de l'océan Indien ne voulaient pas seulement la liberté. La plupart demandaient également qu'on les ramène dans leur pays d'origine, ou à tout le moins qu'on leur donne un lopin de terre, un pécule ou une pension - bref, ils voulaient des réparations. En ce sens, ils se battaient à la fois pour la liberté et pour la justice.

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EAN
9782234074880
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