Demain la révolution

Sur le coup, personne n'a vraiment compris ce qu'il s'était passé.
Nous étions en train de remonter en classe, juste après la cantine. Les CE2 étaient devant nous, plutôt bruyants et agités.
Madame Mervent, la directrice, qui est également leur maîtresse, commençait à s'énerver:
- En rang et en silence, s'il vous plaît! Si je le répète encore une fois, vous serez tous punis!
Elle était tout en haut de l'escalier, et soudain sa queue-de-cheval rousse a disparu. Je l'ai vue rétrécir, presque se fondre parmi ses élèves, et il y a eu ce qu'on appelle,je crois, un «mouvement de foule». Ils se sont tous écartés avec un respect étrange, pour lui laisser le passage en quelque sorte. Mais, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne descendait pas normalement.
Elle tombait.
Et même: elle dégringolait!
Marche par marche - et il y en avait au moins vingt.
Comme une immense poupée qui aurait perdu l'équilibre. Comme un gros paquet que quelqu'un aurait fait rouler d'en haut, pour éviter de le porter.
Elle dévalait l'escalier presque au ralenti, mais personne ne pouvait la retenir, elle a même fait tomber quelques élèves sur son passage.
Ça faisait un drôle de bruit, il me semble que c'était son sac, qu'elle n'avait pas lâché, qui cognait contre les marches:
POUF! POUF! POUF!
C'était interminable et terrible.
Il y a eu des cris, quelques éclats de rire (je ne sais pas pourquoi, ça fait toujours rire, que quelqu'un tombe, surtout si c'est un adulte), puis, à la fin de la chute, un grand silence.
Elle avait atterri juste devant moi, les quatre fers en l'air, les yeux fermés.