Sous l'eau qui dort

Prologue

La fille se noya un jeudi.
Les arbres paraissaient immenses à la lumière grise du mois d'octobre. Le sol était recouvert d'un épais tapis de feuilles roussies qui craquaient sous les pas.
Juste avant que l'eau n'efface tout, elle songea qu'elle aurait souhaité que les choses soient différentes. Être quelqu'un d'autre...
Mais ce n'était qu'un souhait.
Ce genre de souhait ne se confie qu'aux génies des lampes magiques, aux fontaines miraculeuses et aux étoiles filantes.
À toutes ces bêtises qui existent seulement dans les contes dont les mères dévident inlassablement la trame pour leurs enfants le soir avant qu'ils ne s'endorment. Ceux-là mêmes autrefois racontés par leurs propres mères, et dont les origines se perdent dans le brouillard du temps.
Oui, la fille se noya un jeudi et son corps disparut au fond du lac. Il fut attiré loin de la surface qui étincelait au soleil les jours d'été. Aucune des recherches entreprises par les plongeurs ne put remplir le cercueil vide. Pas plus qu'elles ne permirent d'identifier la forme obscure qu'on apercevait parfois depuis la berge lorsque le temps était clair.
Les habitants de Dentown s'accordèrent à dire que, pour sûr, c'était encore un coup des sorcières. Tout le monde savait que si l'ombre au fond de l'eau continuait de tourner, que si ceux qui partaient dans les bois n'en revenaient pas toujours, c'était de la faute de celles qui pouvaient rendre vos rêves réalité ou devenir votre pire cauchemar.
La fille s'était noyée, et peut-être était-ce exactement ce qu'elle souhaitait.
Deux ans plus tard, la Mort rôda de nouveau dans les bois de Den. On reparla d'elles. Des sorcières qui polluent les rivières, déclenchent les épidémies et déciment les troupeaux.
Mais tout ça, ce ne sont que des histoires, pas vrai?